Interview BIM – Episode #22 Merri Lawan, Expert Développements BIM et Ingénieur chez VINCI Construction France

Bonjour à tous,

Nous avons l’honneur de recevoir aujourd’hui l’une des personnes clés au sein de VINCI Construction France, Merri Lawan qui est en charge du développement des outils méthodes pour le chantier. Nous allons évoquer les grands chantiers de numérisation qui permettent au Groupe VINCI Construction d’être encore plus efficace et à la pointe dans le domaine de la Construction, et surtout, découvrir le parcours très intéressant de Merri.

Bonjour Merri, nous sommes enchantés de te recevoir sur ABCD Blog. Nous avons l’habitude de recevoir des BIM Managers, c’est donc une première pour nous de discuter avec un Responsable du Développement des Outils Méthodes.

Pourrais-tu tout d’abord nous présenter VINCI Construction France en quelques mots, même si votre Groupe est renommé ?

Effectivement, avec 20 000 collaborateurs, VINCI Construction France – filiale du groupe VINCI et leader français du BTP – intervient dans tous les métiers du bâtiment, du génie civil, des réseaux, des métiers de spécialités et du développement immobilier.

Ton parcours universitaire t’a mené très naturellement vers le développement d’outils méthodes et pas vers la partie BIM Management, malgré ton double diplôme d’Ingénieur GC et géotechnique. Pourrais-tu stp retracer pour nos lecteurs ton parcours extrêmement intéressant et nous parler de ta passion pour les mathématiques et le développement dès ton plus jeune âge ?

J’ai toujours eu une attirance pour les sciences en général, plus particulièrement les mathématiques et la physique. Très jeune, j’ai eu accès à un ordinateur ce qui fait que j’étais à l’aise avec l’outil informatique. A l’université j’ai fait un DEUG MIAS (Mathématiques et Informatique Appliquées aux Sciences) et c’est à ce moment-là que j’ai découvert toute la puissance de l’informatique – à travers la programmation – pour résoudre des problèmes mathématiques complexes. Après mon DEUG, j’ai intégré une école d’ingénieur en Génie Civil car le monde de la construction m’a toujours fasciné aussi (mon père, diplômé de l’ESTP, m’emmenait souvent sur ses projets). J’ai eu l’opportunité durant mon stage de fin d’études de choisir un sujet qui combinait mes 2 passions : le btp et l’informatique. Il s’agissait de développer des outils sur AutoCAD pour augmenter la productivité des services Méthodes.

Tu as été diplômé et tu as très rapidement intégré Bouygues Construction en 2006 pour t’occuper de développement d’outils BIM Sur AutoCAD avant l’heure. Pourrais-tu nous en dire plus ?

Comme je le mentionnais plus haut, j’ai commencé chez Bouygues par un stage de fin d’études dont le but était de développer des outils sur AutoCAD afin d’augmenter la productivité des services Méthodes. Ce PFE m’a passionné, j’ai été embauché chez Bouygues à la suite de ce stage avec une double casquette : ingénieur Méthodes et développeur au service des BET Méthodes en France. La plupart des développements faits sur AutoCAD étaient similaires à ce que peut offrir Revit aujourd’hui en terme de métré et phasage. Lorsque j’ai découvert Autodesk Revit en 2009, j’ai tout naturellement pensé que c’était l’avenir et qu’il était temps de quitter AutoCAD pour un vrai logiciel métier dédié à la construction.

5 ans après, tu intègres VINCI Construction France pour t’occuper de développement d’outils méthodes BIM sur Revit directement. Pour quelles raisons et quelles ont été tes premières missions ?

C’est donc suite à la découverte du potentiel de Revit que j’ai décidé de me réorienter vers le BIM : j’ai postulé chez VINCI Construction France au sein du service Maquette Numérique de Projet (piloté à l’époque par Jean-Baptiste Valette) : le but de ce service était d’assurer la transition des filiales de VINCI Construction France vers le numérique.

Tu as d’ailleurs commencé avec Daphné Duresseix qui depuis a pris la direction de l’Equipe de BIM Management. Comment collaborez-vous avec son service qui bénéficie directement de vos outils développés ?

J’ai effectivement commencé en 2011 avec Daphné. Au début, on a tous les deux fait à la fois de la modélisation, du développement/paramétrage de logiciels BIM, de la veille chez les éditeurs, ainsi que des formations au sein des filiales. A l’époque, le BIM était encore perçu pour beaucoup comme de l’animation 3D sans grand intérêt : il fallait se battre pour convaincre les filiales de faire la transition. Puis, petit à petit nous avons eu de plus en plus de demandes pour du BIM Management pour les gros projets. L’équipe s’est alors scindée en deux : un pôle projet dirigé par Daphné, et un pôle développement dont je fais partie.

Nous développons aujourd’hui pour l’ensemble des filiales ce qui permet à l’équipe de projets de bénéficier de nos outils. A l’inverse, l’expertise pointue en BIM de l’équipe projets nous permet d’anticiper plus rapidement les besoins en développement et donc d’avoir un train d’avance sur les demandes des filiales.

Quels sont les cas d’usages principaux des applications que vous développez et pourquoi ?

Les principaux cas d’usage de nos développement sont :

  • Les métrés études de prix et opérationnels : crucial pour le chiffrage et la sécurisation du planning
  • Les outils de calepinage de matériel en fonction du phasage : crucial pour nos services Méthodes qui gagnent énormément de temps sur cette tâche
  • Application suivi de chantier : pour nos services travaux afin que le pointage puisse remonter automatiquement dans nos outils financiers
  • Outil de synthèse : circuit de validation pour les demandes de réservations des CET et GO (Corps d’Etats Techniques et Gros-Oeuvre NDLR)
  • Outil de contrôle qualité pour vérifier l’intégrité de nos maquettes
  • Gabarits, bibliothèques : objets numériques paramétriques, styles et mises en pages pré paramétrées.

La production chez VINCI Construction France est essentiellement basée sur Revit. Cela influence-t-il vos développements ?

Oui, beaucoup de nos développements sont de fait basés sur Revit, même si nous pensons à développer des outils de plus en plus indépendants de la plateforme (outil de chantier basé sur le cloud par exemple).

Vous avez une relation collaborative de qualité avec Autodesk dans le cadre de ces développements. Pourrais-tu nous dire comment cela s’organise ?

Oui nous avons signé un contrat EBA avec Autodesk en 2015 et qui intègre un accès au Consulting. Ce consulting nous a permis de bénéficier de développeur experts sur les différents produits Autodesk (notamment Revit et la plateforme cloud Forge).

Nous avons une collaboration étroite depuis quatre ans (des points réguliers toutes les semaines, des réunions physiques tous les trois mois, des présentations communes lors des Autodesk University à Las Vegas tous les ans, des webinars et co-présentations organisées en interne avec l’aide d’Autodesk). Durant ces années, notre collaboration n’a fait que gagner en efficacité et en confiance : c’est comme si Autodesk faisait partie de la maison et vice-versa. Cette collaboration a clairement donné un nouvel élan à ma carrière (développement en compétences informatiques, cloud et management de projet dev, développements de mon niveau d’anglais et prise de parole dans des évènements majeurs) et accéléré de manière significative la mise en production de nos développements en interne : aujourd’hui nous comptons plusieurs centaines d’utilisateurs au quotidien.

Pourquoi choisir de développer (par exemple) une application d’estimation des quantités et coûts alors qu’elles existent sur le marché ?

Nous avons choisi de développer notre propre application de métré car nous voulions un outil totalement intégré à Revit (nous ne voulions pas avoir à changer d’outil pour extraire des quantités et perdre ainsi en efficacité). Or Revit natif n’était pas satisfaisant en terme de précision et de visualisation de métré (longueurs des voiles, finitions des pièces, surfaces nettes/brutes…). Nos outils pallient ainsi aux carences de Revit en calculant les valeurs manquantes dans le logiciel, en générant les finitions de pièces 3D, ainsi qu’en exportant de manière packagée nos métrés. Pour plus de détails sur ces sujets, nous avons fait quelques classes à Autodesk University.

Quels sont vos grands objectifs pour vos équipes avec le développement de telles applications ?

L’objectif pour nos équipes est de pouvoir migrer 100% de nos BET sur Revit : même si Revit offre déjà une bonne base, augmenter leur productivité par le  biais de développements complémentaires permettrait d’accélérer l’adhésion de nos filiales au BIM. La maquette BIM pourrait ainsi circuler entre nos différents services afin de mutualiser le coût de la production d’une maquette sur un chantier.

Toujours sur la partie estimation, quelle stratégie adoptez-vous ? Modélisation de tous les éléments ou extrapolation des quantités en s’appuyant sur certaines informations ?

Cela va dépendre de la phase du projet. En phase appel d’offres, nous n’avons en général pas le temps de tout modéliser. Nous modélisons au moins le Gros-Œuvre et extrapolons ou sous-traitons le métré TCE. Par contre, en phase exécution, l’objectif est de modéliser et de phaser à la fois le Gros-Œuvre et les corps d’états secondaires.

Travaillez-vous essentiellement sur la partie gros-œuvre ou aussi sur les corps d’états secondaires ?

Comme évoqué précédemment, nous ciblons l’ensemble des corps d’états, car la finalité est de pouvoir maitriser le planning TCE en phase exécution

Comment vous assurez-vous que les maquettes des architectes, BE et les vôtres soient toujours synchronisées ?

Effectivement, la synchronisation des maquettes est un vaste sujet. Aujourd’hui, les modifications architectes, BE et les nôtres sont répercutées à la main car nous n’avons pas trouvé d’outil permettant d’automatiser cela (le copier-contrôler de Revit est une piste mais est trop limité et lourd à mettre en place). En revanche, nous avons développé dans Revit un outil permettant d’identifier rapidement tous les changements ayant eu lieu entre 2 versions d’une même maquette et répercuter ensuite ces changements manuellement. A terme, on envisagera une répercussion des changements un peu plus automatisée.

S’assurer le succès, c’est aussi partager les bonnes pratiques. A l’instar de votre BlueBIM Tool Box, proposez-vous vos applications gratuitement à vos sous-traitants ?

Oui, cela nous est arrivé à maintes reprises de partager certains de nos outils avec des sous-traitants pour garantir la réussite de nos projets. Nous partageons notamment nos guides de modélisation, nos conventions BIM, nos gabarits, nos outils de synthèse de réservations, nos outils de BIM Management….

Vous commencez à développer sur notre plateforme du futur Autodesk Forge. Quelles sont vos orientations et cela va-t-il s’accélérer ?

Effectivement, nous commençons à prototyper des applications sur Forge. Cette plateforme est très prometteuse car elle va nous permettre de mettre à disposition  de nos équipes travaux nos modèles BIM sur le cloud, tout en personnalisant l’interface afin qu’elle corresponde exactement à leur besoin (outils rapides de repérages, défilement du phasage en fonction du planning, rapports de quantités de matériaux consommés en fonction du pointage…)

PIC, études de prix, et autres process numérisés dans un monde analogique. Votre Totem va-t-il prendre plus d’importance pour amener le numérique sur le chantier ?

Oui, clairement notre Totem (grand écran digital amené sur chantier et connecté à notre application de suivi et de pointage de chantier Forge) a pour but de démocratiser le BIM sur le chantier, bouclant ainsi la chaine des utilisateurs. 

Quels sont les développements dont tu es le plus fier ? Et ceux qui ont le plus de succès ?

Le développement dont je suis le plus fier est celui des finitions de pièces : ce développement complexe et unique sur le marché est le résultat d’une longue réflexion en interne ainsi que d’une forte expertise des consultants Autodesk. Le développement qui a le plus de succès est l’aller-retour Revit Excel, ainsi que le plugin permettant de générer un carnet de rotation.

Selon toi, qu’est-ce qui fait la différence avec VINCI Construction France et qui lui apporte du succès ?

VINCI Construction France mise beaucoup sur l’humain en favorisant son autonomie et le développement de ses compétences. Au sein de l’hexagone, il existe beaucoup de communautés partageant leurs savoirs faire : VINCI Construction France tire sa force de ce réseau et de cette diversité.

Quels sont selon toi les craintes à avoir avec le développement d’outils web based ?

Les craintes des développement d’outils cloud sont souvent des craintes de sécurité liées à la donnée. Les éditeurs travaillent d’ailleurs beaucoup à lever ces craintes via des certifications. Mais il ne faudrait pas que ces craintes soient un frein à l’adoption de ces outils : on ne peut pas se permettre de prendre du retard dans cette course à la compétitivité liée au BIM. D’ailleurs, on constate que dans nos vies privées, beaucoup n’hésitent pas à divulguer un peu de ses données en échange de services performants. 

L’intelligence Artificielle vous intéresse-t-elle et aura-t-elle un impact sur vos développements futurs ?

C’est évident, l’intelligence artificielle aura certainement un impact dans nos développements futurs. Mais pour l’instant nous progressons pas à pas et nous n’avons pas encore de visibilité sur de tels besoins.

Quelle est d’ailleurs votre vision du futur sur les développements ?

Le futur des développements sera en majorité des applications cloud appelant des micro services mis à disposition par les fabricants, fournisseurs, sous-traitants ou tout simplement des éditeurs comme Autodesk. Il n’y aura certainement plus d’échanges de formats fichiers IFC. Seule l’information utile sera échangée, ce qui permettra un traitement plus efficace. C’est pourquoi à mon sens le cloud (et Forge) est très important : il permet de connecter tout un écosystème et d’automatiser des workflows basés sur des règles métiers encapsulées en micro services web.

Tu as eu la chance de participer à un évènement – le Forge Accelerator – à San Francisco où tes talents combinés à la présence des plus grands Experts de cette nouvelle technologie, t’ont permis de développer un prototype bluffant. Pourrais-tu nous raconter cette expérience stp ?

Effectivement, j’ai eu la chance de participer en février dernier au premier Forge Accelerator sur Revit Design Automation à Boston. Le but de cet évènement était d’officialiser la sortie de la possibilité de faire tourner des plugins Revit sur le cloud. Cette fonctionnalité va nous permettre d’automatiser des tâches (extraction de métrés, calcul de paramètres, création de filtres complexes pour réaliser des plans de repérages, audit de maquettes…) tout en tirant partie à la fois de la puissance de l’API Revit et du cloud (puissance de calcul, pas de nécessité d’installer Revit pour l’utilisateur).

L’Accelerator une expérience que je recommande à tous ceux qui veulent se mettre à développer sur la plateforme Forge et qui ont déjà une idée de projet et qui veulent rapidement réaliser un prototype. Pendant cinq jours, on est entouré d’experts Autodesk disponibles et à l’écoute. On y fait de belles rencontres tant du côté d’Autodesk, que du côté des clients (c’est l’occasion de discuter avec des entreprises qui ont les mêmes problématiques que nous). Ces rencontres facilitent grandement les échanges même une fois l’évènement passé. 

Quelles sont tes passions hors BIM et développement ?

J’aime passer du temps avec ma petite famille (j’ai 2 enfants de 6 et 3 ans), voyager, pratiquer du sport en nature. J’aime pratiquer également avec ma femme les danses latines (salsa, bachata…)

Merri, merci beaucoup pour ce beau parcours et cette belle interview que nos lecteurs auront plaisir à lire.

Nous te souhaitons de continuer sur cette route du succès.

Bien à toi.

-emmanuel

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