Destination Mars, la ville du futur prend forme grâce à une Equipe de passionnés et au BIM !
Nous avons cette semaine la chance de recevoir les lauréats à la 3ème place du prestigieux Concours International de la Mars Society, un projet incroyable et utopique comme nous n’en voyons plus à notre époque.
Rémy Navarro, l’un des Experts BIM sur le marché français et ses colistiers ont convaincu le jury et donné naissance à la ville du futur sur…la Planète Mars. Et le tout, modélisé en BIM avec Autodesk Revit.
Bonjour Rémy, merci de nous faire l’honneur de venir nous parler de votre projet Mars sur ABCD Blog pour lequel vous avez été récompensé. Pourriez-vous tout d’abord vous présenter et nous dire quels sont votre formation et votre parcours, ainsi que votre profession actuelle ?
Bonjour Emmanuel,
Je m’appelle Rémy NAVARRO et avant de faire du BIM, j’ai travaillé pendant 10 ans sur des chantiers de construction ainsi qu’en exploitation-maintenance. Cela m’a permis de connaitre les besoins et les réalités du terrain. J’ai une formation en conception de « bâtiments communicants » et en management de projet de construction.
J’ai découvert le BIM en 2013 lors d’un projet de renouvellement urbain. En 2016, j’ai eu l’opportunité de suivre une formation de 4 mois à Revit Architecture et Revit MEP chez l’un des Revendeurs Autodesk. Par la suite, j’ai eu diverses expériences en bureau de synthèse technique, puis au sein d’une cellule de R&D BIM chez un promoteur–constructeur. J’ai intégré BIMtech en Mars 2019 au poste de chargé de projet BIM. BIMtech est une entreprise française spécialisée en BIM Management au service de la maîtrise d’ouvrage. Nous travaillons sur de grands projets urbains, de logements, d’équipements et d’opérations hospitalières.
Je tiens également à vous remercier pour la possibilité que vous nous donnez de présenter notre idée au sein de la communauté du BIM. Je suis un lecteur assidu de votre blog et c’est vraiment un plaisir de dévoiler notre projet.
Vous êtes l’un des passionnés du BIM français, actif sur les réseaux sociaux. Comment vous est venue cette passion ?
Plus jeune, je souhaitais devenir architecte, mais je n’ai finalement pas pu suivre cette voie pour des raisons diverses et variées. Au début de ma carrière, je faisais de la modélisation 3D avec un logiciel de modélisation 3D mondialement connu pour mes projets. En 2013, lors d’un projet de conception en région PACA, je me suis rendu compte que j’avais besoin d’un outil qui intègre de la donnée dans des objets 3D. C’est là que j’ai décelé le potentiel du BIM et de Revit grâce à mes recherches sur internet. Depuis ce jour, j’utilise le BIM et Revit de manière quotidienne et même en dehors de mon travail.
Comment avez-vous connu ce concours de la Mars Society et comment vous est venue l’idée d’y participer ?
Je suis membre de l’Association Planète Mars (filiale de la Mars Society) et de la Fédération Open Space Maker, une association qui développe des projets « Open Source » sur l’exploration spatiale en partenariat avec le Centre National d’Études Spatiales (CNES). Avec deux autres membres de l’équipe, nous travaillons sur la conception de la première station-service martienne en Open Source. Deux autres membres de l’équipe avaient déjà participé à des concours de la Mars Society les années précédentes. Et en 2018, j’ai participé au concours que HP et Autodesk avaient organisé sur le thème de l’urbanisation de Mars. Donc, je dirais que c’est grâce à une succession d’évènements et de rencontres que j’ai connu le concours de la Mars Society.
Vous avez pour cela formé une Equipe de choc assez complémentaire. Pourriez-vous nous les présenter et nous expliquer les raisons de ce choix ?
Oui une équipe de choc, c’est le cas de le dire ! Nous sommes 7 francophones. Je vous les présente :
Laurent GAUTHIER est Ingénieur Arts & Métiers. Il travaille dans l’énergie nucléaire chez FRAMATOME, dans le développement de codes de calcul multiphysique, l’analyse d’essais de sûreté et l’étude des matériaux en conditions extrêmes. Il est à l’origine de plusieurs travaux d’innovations de rupture, ainsi qu’à des opérations de transformation industrielle.
Michel LAMONTAGNE est Ingénieur chez CIMA+ au Canada. Il a une spécialisation dans la ventilation, le transfert de chaleur, le bâtiment et les process industriels. Il a participé à plusieurs projets d’envergure dont le Réseau Électrique Métropolitain de Montréal (34 stations), les mines d’Or de Detour Gold et d’Osisko, l’aluminerie Emal à Abou Dhabi et l’aluminerie d’Alcan à Alma.
Olivier GOURDON, graphiste et illustrateur, est actuellement chef d’atelier à l’agence Pauwels communication. Il travaille sur des sujets passionnants comme la recherche et l’enseignement des arts martiaux depuis 15 ans, sur l’émergence de la seconde guerre mondiale ou sur les percussions brésiliennes.
Carl VAMBERT, véritable self-made-man, a évolué dans les sphères du DIY (Do It Yourself NDLR), du négoce comme directeur et dans la gestion de patrimoine. Il est aujourd’hui agent général du Groupe AXA, spécialisé dans la prévoyance et le patrimoine. Il a eu la chance de pouvoir participer à des concours comme les BIM d’Or 2019.
Jean-Marc SALOTTI, Professeur des Universités à Bordeaux INP, enseigne à l’Ecole Nationale Supérieure de Cognitique. Il a publié de nombreux articles dans le domaine des vols habités vers Mars, avec notamment l’architecture « semi-directe » revisitée et la participation à une étude de l’International Academy of Astronautics, dont il est membre.
Florent BEDNAREK est étudiant à l’École Internationale des Sciences du Traitement de l’Information pour devenir « ingénieur informatique ». Il est actuellement en alternance chez Google France en tant que Software Engineering Apprentice.
Comme tu peux le constater, c’est une équipe avec des compétences variées et complémentaires.
Nous avons mis l’accent sur la complémentarité des visions et des compétences afin de donner le ton d’une cité cosmopolite et ouverte.
Comment avez-vous établi la stratégie, le plan directeur et la philosophie de cette ville ? Quelles sont les particularités et spécifications de votre ville ?
En termes d’urbanisme, cela se traduit par une autonomie maximale pour les quartiers d’environ 10 000 habitants. Ce principe présente de nombreux avantages : il assure efficacement la responsabilisation de chaque citoyen vis-à-vis du maintien de l’écosystème biologique artificiellement créé qui le maintient en vie, ainsi que le partage des pratiques entre les différents quartiers produisant, par conséquent, une saine concurrence.
La compartimentation permet d’éviter la survenue d’un accident global, et d’isoler le sinistre pour permettre à l’ensemble de la ville de venir en aide à un quartier sinistré. Ainsi, chaque quartier possède une autonomie à la fois physique, économique grâce à sa production locale, mais aussi administrative dans sa gestion des affaires publiques. A cela s’ajoute la proximité des différents espaces nécessaires à la vie d’un citoyen associant la résidence, le travail, les commerces, les zones sociales et communautaires en un seul habitat.
Ce principe s’articule également avec le fait que l’agriculture et l’entretien des écosystèmes demeure l’une des principales activités des habitants de la Cité-État de Fondation, de par son exigence en main-d’œuvre. Un très grand nombre de Martiens seront fermiers ou botanistes. Il devient donc nécessaire de réduire la distance entre les zones agricoles et urbaines de telle sorte qu’il soit possible de favoriser les déplacements de piétons au sein d’un même quartier. En somme, nous retrouvons les thématiques de notre époque dans la favorisation du « consommer local ».
Le réseau de transports entre les quartiers est, quant à lui, assuré par un système automatique de véhicules électriques, roulant sous les allées enceintes pressurisées ou eux-mêmes pressurisés selon le cas.
Les parcs à énergie solaire occupent une grande surface en dehors de la ville (plusieurs centaines de kilomètres carrés, conformément au mix énergétique local). Ils sont organisés comme des « îlots solaires » standardisés : des panneaux solaires entourent un secteur industriel central, comprenant toutes les installations dédiées à la fabrication et à la maintenance de panneaux solaires, ainsi que des usines dédiées à la production et au stockage de vecteurs énergétiques.
Sur Mars, l’ensemble des édifices sera doté d’une double architecture. Une architecture protectrice contre le climat local. Une architecture intérieure avec les différents lieux de vies propre à stimuler le corps et les yeux des humains de Mars.
Quel endroit plus approprié que Mars pour l’émergence de nouvelles idées en matière d’urbanisme et d’architecture ?
Une nouvelle renaissance, en quelque sorte !
Y fera-t-il bon vivre et pourquoi selon vous ?
Au début, la vie sera rude et difficile comme la vie de ceux qui ont participé à la colonisation des Amériques. Mais en quelques décennies, les villes sur Mars deviendront des endroits accueillants. D’ailleurs, la colonisation de Mars se fera d’abord via le tourisme interplanétaire.
Et pour accueillir des touristes, il faut que l’endroit soit génial ! D’abord des scientifiques et de riches touristes puis après nous pourrons y aller.
Imagine prendre un café juste au bord du plus grand canyon du système solaire.
Être sur Mars sera déjà une expérience unique en soi car la gravité est différente de la Terre. La plupart des activités sportives seront complètement différentes. Regarder un match de foot ou de basket-ball sur Mars sera plus épique que sur Terre.
L’humanité pourra développer de nouvelles formes d’art et d’architecture dans ce nouveau monde.
Je pense qu’il s’agira d’une planète où il fera bon vivre.
Comment vous êtes-vous organisés pour le travail ? C’était en plein COVID. Cela a-t-il eu un impact en termes de collaboration ?
Tout d’abord, il faut comprendre que la quasi-totalité de l’équipe avait déjà participé à des concours sur le thème de l’urbanisation de Mars. Nous avons mis notre travail en commun. Nous ne sommes donc pas partis de zéro. Cela a été un énorme avantage car sans la capitalisation de nos expériences passées, nous ne serions pas ici.
Pour la collaboration, nous utilisions l’application « Discord ». J’avoue que la période fut assez éprouvante car j’ai été moi-même touché par la COVID.
Mais, nous avons pu proposer cette année un ouvrage avec une orientation particulière. D’ailleurs, même si nous sommes une équipe francophone, un membre de l’équipe réside au Canada. Cela nous a aussi permis certains week-ends de travailler 24h/24. L’avantage de collaborer à distance via des outils numériques sur 2 continents à la fois.
Vous avez à la fois travaillé en BIM et en analogique (dessins et croquis) ? Était-ce aisé ?
Effectivement, nous avons commencé à travailler en analogique au premier stade de nos échanges. Nous avons partagé nos visions, nos dessins et croquis lors d’un brainstorming. Cela a été vraiment très enrichissant. Au premier stade d’un projet, le croquis reste primordial pour développer des idées. Une fois qu’une orientation était validée, nous passions au stade de la modélisation 3D et du BIM.
Pour la partie BIM, quelles technologies avez-vous utilisé et comment ?
Nous avons utilisé Revit 2020 et 2021 pour la partie modélisation ainsi que ReCap et Dynamo pour la partie génération du terrain. Les rendus 3D ont été réalisés avec Twinmotion 2020. Nous avons également utilisé la plateforme Kroqi du Gouvernement et Google Drive pour la partie stockage des données.
Vous avez modélisé une partie de la morphologie du terrain sur Mars dans Revit. C’est un exploit. Comment y-êtes-vous arrivés ?
Nous avons collecté sur Google Earth et sur le site de la NASA des centaines d’images satellite des sites de notre projet martien. Nous avons ensuite agrégé les données sous Autodesk ReCap afin d’obtenir un fichier topographique 3D au format OBJ. Puis grâce à Dynamo, nous avons récupéré le maillage de surface du fichier pour le convertir en topographie Revit.
Nous avons également essayé d’optimiser les remblais/déblais de notre ville. Le sol martien est extrêmement dur… C’est impressionnant ce que nous pouvons faire avec la technologie aujourd’hui.
Pour la modélisation, quelles approches avez-vous utilisé dans Revit ? Avez-vous aussi utilisé Dynamo ?
Pour la modélisation, nous avons travaillé d’une manière très particulière. Nous n’avions pas le temps d’aller dans le détail, ni en générant plusieurs milliers de fichiers de projet Revit pour concevoir la ville (à minima entre 300000 et 600000 logements).
Tout d’abord, nous avons créé un fichier d’assemblage comprenant les données du projet et la topographie existante du site.
Je vous rassure, nous n’avons pas pu géoréférencer le projet mais nous nous sommes documentés sur le sujet !
Ensuite, nous avons travaillé à la création de « méga-familles » Revit :
- Chaque famille étant un bâtiment/module pouvant abriter entre 300 et 500 résidents
- Chaque fichier comporte plusieurs fichiers RFA pour constituer le module (parois, vitrages, etc…).
Il y a 4 typologies de méga-famille :
- Zone d’habitation
- Zone de production agricole
- Zone commune : restaurant, musée, jardin botanique, etc.
- Zone industrielle : usine, centrale photovoltaïque, spatioport, etc.
- Les données des quantitatifs sont intégrées à cette méga-famille via des paramètres partagés.
- Les familles sont paramétriques afin de faire varier le nombre d’étage et les typologies intérieures.
- Chaque famille de bâtiment à un poids de plusieurs centaines de méga-octets.
Une fois que nous avons créé 10 à 12 méga-familles paramétriques, nous avons conçu un fichier de projet « Quartier » :
- Chaque projet Revit « Quartier » comprend 2 à 3 méga-familles
- Chacun est géopositionné sur la maquette de site topographique
- Chacun pèse entre 800 Mo et 1.5 Go
Le poids des fichiers en surprendra plus d’un, mais depuis 2 ans, nous utilisons la solution SHADOW (PC dans le cloud). Les performances de cette solution nous permettent d’utiliser des fichiers Revit de cette envergure. C’est très prometteur.
Votre présentation est très originale car vous l’avez faite sous forme de magazine. Pourquoi ce choix et comment le jury l’a-t-il appréhendé ?
Nous nous sommes demandé comment rendre cette ville vivante par rapport à ce qui avait déjà été proposé par le passé.
Les vidéos, les images, les rendus photoréalistes ou même la Réalité Virtuelle ne sont pas suffisants pour faire naitre une émotion dans le cœur et dans l’esprit des individus. Pour avoir envie d’y aller, il faut pouvoir se mettre à la place d’une personne. Nous avons donc créé une héroïne, Lucie, qui raconterait ce qu’elle vivrait dans cette ville sur Mars. Nous avons créé un journal scientifique mêlant des parties techniques et explicatives avec des « Carnets de notes de Lucie ».
Cela a permis de rendre notre proposition plus réelle et vivante.
Justement, comment était composé le jury et la soutenance a-t-elle été difficile ?
Le Jury était composé d’une dizaine de spécialiste du secteur de l’aérospatiale. Des membres de la Mars Society, des ingénieurs, des docteurs en astrophysique, des économistes et des entrepreneurs du NewSpace (SpaceX, Blue Origin, Virgin Galactic, etc…).
Quelles ont été vos difficultés et moments agréables lors du développement du projet ?
La plus grande difficulté a été la COVID. A l’origine nous étions 16 sur le projet et en cours de route nous en avons perdus 9… Le projet a même failli prendre fin prématurément. Mais nous sommes là et c’est une belle revanche contre la COVID !
Le moment le plus agréable a été de voir le document de travail se transformer lors de la mise en page par notre graphiste. Olivier a fait du super travail, j’ai encore du mal à y croire ! Laurent a fait du très bon travail sur la rédaction de l’ouvrage également. J’ai adoré échanger avec l’équipe sur la co-conception de cette cité-état et sur l’aspect rentabilité économique de la ville.
Vous finissez 3ème. Vous devez être très fiers. Un grand bravo. Que retirez-vous de cette belle expérience et de ce résultat ?
Nous sommes extrêmement fiers du travail accompli et toujours un peu surpris !
Ce que j’en retire à titre personnel ? Plusieurs choses :
- Développer un projet hors de notre champ de compétence est extrêmement passionnant et enrichissant. Cela permet de développer de nouvelles façons d’aborder les problèmes et de les traiter.
- Je pense aussi que si nous voulons avoir une approche non conventionnelle sur un sujet, il faut travailler avec des personnes dont les compétences sont totalement différentes des nôtres. C’est enrichissant humainement.
- Je me suis fait de nouveaux amis et je pense que l’on se fera un Trek sur Mars quand cela sera possible.
Avez-vous du coup envie de participer à d’autres concours ? Cela a-t-il changé vos projets professionnels ?
Nous travaillons actuellement avec la Mars Society sur l’adaptation de notre rendu pour l’intégrer dans un livre au côté des vingt autres finalistes. Le livre sortira début 2021 et s’intitulera : Mars City States: New Societies for a New World
Nous prévoyons aussi de participer à un concours BIM au cours de l’année 2021.
Et peut-être que nous candidaterons au concours de la Fondation Jacques Rougerie, c’est en réflexion.
Nous cherchons à recruter un architecte et un ingénieur qui aient de l’appétence pour le BIM et pour le domaine du spatial. L’objectif est de continuer à capitaliser sur nos précédents concours en intégrant de nouvelles personnes et de nouvelles idées. Nous recherchons une collaboration sur le long terme avec des personnes qui ont les mêmes passions que nous.
Donc avis à ceux que cela intéresse, n’hésitez pas à me contacter !
Avec Laurent, nous avons des discussions pour développer un projet sur l’utilisation de technologie spatiale dans le secteur du BTP. Mais pour l’instant, cela ne change en rien mes projets professionnels.
Connaissiez-vous ABCD Blog et qu’en pensez-vous le cas échéant ?
Je suis un lecteur assidu de votre Blog. Je l’utilise pour ma veille dans le BIM.
Surtout ne changez rien ! Encore merci Emmanuel !
Rémy, à nouveau bravo à vous et votre équipe et un grand merci pour cette interview qui va ravir nos lecteurs. Bonne route sur les chemins du BIM.
Pour ceux qui veulent continuer la visite de ce projet Martien, le site web de cette ville se trouve ici.
L’ensemble des images (hors croquis) ont été réalisées avec Revit 2020/2021 et Twinmotion 2020.
Et si vous souhaitez télécharger le rendu du concours en français et en anglais, vous pouvez cliquer ici.