La série d’Interview BIM Managers continue cette semaine avec cette fois-ci l’Ingénierie Structure qui est mise à l’honneur au travers d’un échange passionnant avec Jonathan Renou, Projeteur Calculateur et BIM manager au Bureau d'études ESL basé en Bretagne. On y apprend que les BE et BET sont finalement assez en pointe dans le domaine du BIM, au même titre que les Entreprises de Construction.
Jonathan Renou, Bureau d'études ESL
Projeteur Calculateur – BIM manager
Bonjour Jonathan, merci de répondre à ces quelques questions pour ABCD Blog. Tu es le premier Expert Structure qui répond à cette série d’interviews, tu es aussi l’un des animateurs passionnés du Forum “ Pratiques du BIM “ sur Linkedin, c’est donc un honneur et un plaisir pour nous, et nous t’en remercions.
Jonathan, tu es un Expert Structure et BIM Manager. Depuis quand es-tu passé au BIM ? Peux-tu nous expliquer ton parcours ?
En réalité, le passage au BIM s’est fait tout naturellement et j’ajouterais même, sans le savoir. La direction a toujours été à l’écoute de ses salariés concernant les outils et les méthodes de travail. L’outil doit répondre à deux points essentiels : “est-il adapté à notre travail ?” et aussi “apporte-t-il un plus pour l’utilisateur ?”. Derrière ces questions se cachent simplement les notions de rentabilité et de plaisir, les deux étant intimement liées.
A mon arrivée chez ESL en 2007, on m’a proposé de me former sur RCAD (qui est devenu ASD – AutoCAD Structural Detailing – lors du rachat de Robobat par Autodesk), étant passionné de logiciels, j’ai évidemment accepté de laisser ce bon vieil AutoCAD pour me mettre à la 3D. La suite se résume simplement par le conseil et la confiance que le commercial Autodesk de l’époque, Xavier Pitard (que je salue au passage), a su développer au fil des mois. Je me vois encore lui demander, année après année, “Alors, Revit est-il mûr pour nous ?”, Puis en 2010, il m’a annoncé: “Je sais comment vous fonctionnez, je sais ce que vous attendez et, aujourd’hui, Revit peut répondre à vos besoins”. Il faut savoir que lors du passage d’AutoCAD à RCAD (ASD), nous avions quantifié un gain de productivité de l’ordre de 25-30%. Sans aucune hésitation, la direction nous a envoyé en formation. Nous étions deux et avons eu la chance d’être formé par l’excellent Mehdi, consultant chez Autodesk. Très vite, un constat s’est imposé : aucun retour en arrière ne serait plus possible. En quelques mois, le gain de productivité avoisinait les 50% !
Etant curieux et bidouilleur, je suis rapidement tombé sur des sites anglo-saxons mentionnant le concept du BIM. Dès lors, ce sujet m’a littéralement passionné et j’ai donc mis en place une veille intense et me suis formé en autodidacte. Environ quatre ans plus tard, en septembre 2014, Yann TOM, mon patron, officialise la création de l’activité BIM, indépendante des études structurelles, et me charge de la développer. Ces derniers mois ont été ponctués par des rencontres et des échanges très enrichissants et ce n’est que le début 😉
On entend peu parler du BIM dans le domaine de la Structure, mais plutôt pour l’Architecture et la Construction. Quelles en sont les raisons selon toi ?
Je pense que plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène.
Tout d’abord, la répartition des rôles est différente selon les pays. Les pays anglo-saxons confient davantage le leadership des projets à l’ingénierie, alors que dans les pays latins, c’est l’architecte qui assume ce rôle. Il est donc logique qu’ils soient les fers de lance de cette révolution.
Ensuite, la France est composée d’une myriade de petites entreprises. Personne ne peut ignorer la conjoncture et l’investissement, même s’il est nécessaire, il n’est pas forcément aisé.
Enfin, il ne faut pas nier que les Maîtrises d’Ouvrages, mis à part quelques exceptions, sont plutôt frileuses et n’ont pas encore donné l’impulsion qui motiverait les troupes.
Cependant, j’ai l’impression que la médiatisation du sujet commence a créé une dynamique : le succès des salons comme BIM Bang Event ou BIM World en sont de bons exemples.
Le Plymouth à Brest, Architecte : CAP Architecture
Comment les BE et BET, comme celui dans lequel tu travailles voient cette évolution des méthodes ? Sont-ils selon toi en retard par rapport aux autres professions ?
En réalité, le BIM apporte de la transparence et du bon sens. Le changement de méthodes n’est pas du tout un obstacle, bien au contraire. Quand on regarde le coût de la non-qualité en France, on sait que cette évolution est inévitable.
En vérité ce qui fait peur, ce n’est pas le BIM en lui-même, c’est le changement (mentalités, méthodes, outils, etc.).
Concernant le retard, je dirais qu’il n’y a pas une profession qui soit plus en avance par rapport à une autre, mais tout simplement que c’est la France qui est en retard. Heureusement, des choses intéressantes se mettent en place, je pense notamment au Plan de Transition Numérique du Bâtiment ou encore aux différents groupes de travail mis en place (UNTEC, Mediaconstruct, Ordre des architectes, etc.).
Il se dit que le BIM est surtout utilisé sur les Grands Projets. Est-ce le cas que vous constatez sur le terrain ?
Je dirais que c’est une excuse facile pour justifier le fait de ne pas se lancer. Ce sont les petits et moyens projets qui représentent la majorité des opérations. A partir du moment où travailler en BIM permet de mieux maîtriser les coûts, de réduire les erreurs, d’optimiser les projets, d’intégrer les enjeux de la gestion du patrimoine, en résumé de Bâtir Intelligemment et Mieux, je ne vois pas pourquoi les projets “courants” ne pourraient pas en bénéficier !
Depuis 2010, nous travaillons en maquette numérique sur l’ensemble de nos projets qu’ils soient petits ou grands, et comme je le disais précédemment, nous ne reviendrions pas en arrière. Cependant, le manque de partenaires “BIM ready” nous cantonne à pratiquer ce qu’on appelle le “lonely BIM”, j’avoue que c’est un peu frustrant…
Passerelle métallique, collège Ste Ursule à St-Pol-de-Léon, Architecte : Léopold Bernard
Quelles sont tes responsabilités et tâches de BIM Manager au sein de ta structure ? Et quelles sont les difficultés auxquelles tu es confronté ?
Au sein du bureau, mon rôle est d'assurer la veille sur tout ce qui concerne le BIM, de maintenir et d'améliorer le gabarit Revit, de créer les familles (NDLR objets de bibliothèques) et d'assurer les formations internes. Au début, nous avons testé différentes méthodes pour les échanges en interne entre nos trois pôles d'activités (béton, métal, bois) et ces derniers sont maintenant rodés. J’essaie aussi de fédérer des équipes motivées pour proposer le BIM aux maîtrises d’ouvrages.
Les difficultés restent finalement externes au BET. Nous avons déjà évoqué la peur du changement, l'évolution des mentalités est également un enjeu important. Les réfractaires sont encore nombreux, cela implique beaucoup de pédagogie et d'explications. A titre d'exemple, dernièrement on m'a dit "BIM manager ? Encore un métier inventé pour les chômeurs !". J’aime à dire que si vous croisez un BIM manager ingénieur, acousticien, architecte, thermicien, économiste, métreur et qui en plus fait le café, surtout ne buvez pas ce café !!! Quelqu’un qui fait autant de chose ne peut pas faire du bon café ! Le BIM manager n’est pas un “super héros” capable de tout faire : chaque métier a ses spécificités. Finalement, les difficultés sont plus d'ordre humain que technique.
Un autre aspect découle de ce que j’appellerai l’effet de mode. Certains clients veulent du BIM mais sans savoir réellement ce que cela implique. Les entreprises répondent sans en savoir davantage car il faut remplir le carnet de commandes. Le tout étant lancé sans accompagnement. Inutile de préciser que dans ce cas le BIM fait BOUM….
En tant que BET, vous arrive-t-il parfois d’être les BIM Manager globaux pour une opération complète et de chapeauter toute la maitrise d’œuvre ?
Jusqu'à présent, nous n'avons pas été confrontés à cette situation. Pour l'instant, les prestations BIM effectuées sont plus liées au consulting et au besoin de conseils (audit, accompagnement maquette numérique, méthodologie, aide à la rédaction de convention BIM, etc.).
Dernièrement, j'ai été sollicité pour deux très beaux projets sur la partie BIM management, affaires à suivre…
Unité de méthanisation à Plourin, maître d'œuvre : ARDIE Concept
Tu vis et travailles en Bretagne. Qu’en est-il du niveau d’adoption du BIM dans ta région ? Y-a-t-il beaucoup de projets BIMés, peux-tu nous en citer quelques-uns ?
Même si Rennes semble être la ville la plus en avance sur le sujet, j'ai l'impression que la Bretagne est davantage dans l'observation que dans l'action. Sans chercher loin, le bassin Nantais me semble être en avance, notamment grâce à des organismes comme Nantes Habitat, acteur très impliqué dans le BIM. Maîtrises d'ouvrages, élus, c'est à vous de jouer !
Que penses-tu de la feuille de route du PTNB de Bertrand Delcambre ? Es-tu toi-même impliqué dans l’un des Groupes ?
Comme beaucoup de personnes, j'ai suivi avec un grand intérêt l'appel à contributions lancé par Mr DELCAMBRE et ai lu le rapport "Mission Numérique du Bâtiment" dès sa sortie. Je n'ai pu que saluer le travail remarquable effectué. Le gouvernement a décidé de donner suite en s'appuyant sur les recommandations de ce rapport, c'est une très bonne chose et c’est un signal fort qui est envoyé. Le Plan de Transition Numérique du Bâtiment est en marche ! S’il fallait pinailler, j'aurais aimé que le budget alloué soit plus important et que sa mise en œuvre soit plus rapide, mais là, c'est juste pour pinailler 😉
Dernièrement, j’ai en effet décidé d’adhérer à Mediaconstruct pour accéder au groupe de travail “BIM manager”. J’ai ainsi pu assister, à distance, à la dernière réunion sur la Convention BIM et constater la qualité et la pertinence du travail en cours. Dans les prochains mois, si certains projets se concrétisent, j’espère pouvoir apporter une pierre à l’édifice.
Qu’est-ce qui selon toi freine l’avancée du BIM en France ? Et que faudrait-il avant tout améliorer ?
Ont été évoqués la conjoncture, la peur du changement, le manque de motivation des maîtrises d’ouvrages, l’évolution indispensable des mentalités… J’ajouterais aussi que l’absence de cadre légal peut également être perçue comme un frein. Des interrogations concernant la loi MOP, la propriété intellectuelle, les responsabilités ou encore la rémunération n’ont pas de réponses “officielles”.
Comme l’indique le PTNB, les premières choses à faire sont : informer, rassurer et motiver.
Je suis persuadé que le BIM est un des leviers de relance les plus prometteurs, il suffit de regarder le bilan de nos amis anglais pour s’en convaincre.
L’interopérabilité étant clef lorsque l’on parle de BIM et de collaboration, peux-tu nous parler de ton expérience BIM avec les IFCs ?
Il est important de ne pas se voiler la face, les échanges entre logiciels ne sont pas encore parfaits. Ça ne signifie pas qu’on ne peut pas travailler ensemble, c’est juste un peu moins simple mais en aucun cas insurmontable. Le format IFC évolue très vite et je suis persuadé qu’il tiendra toutes ses promesses dans un avenir proche.
De nombreuses initiatives de passionnés se développent actuellement pour effectuer des tests d’échanges entre les différents logiciels. Les maîtrises d’ouvrages avec lesquelles j’ai pu discuter sont toutes d’accord sur la nécessité d’utiliser un format ouvert et pérenne, c’est une des conditions sine qua none pour le bon déploiement du BIM en France. L’IFC apporte ces garanties et a d’ores et déjà été adopté par les utilisateurs.
Quelles tendances technologiques vois-tu émerger de l’utilisation du BIM ? Quels sont les logiciels qui ont bouleversé le BIM et lui ont donné ses lettres de noblesse ?
Avant de répondre à cette question, il est important de rappeler que le BIM est aussi une affaire humaine : on parle d’un travail d’équipe, la collaboration mise en œuvre dès les premières phases du projet permet de tirer tous les acteurs vers le haut. Les logiciels ou la technologie sont finalement des outils nous permettant d’y parvenir. Même s’il est indispensable de posséder une grande expertise des outils, ces deux aspects sont indissociables.
Le secteur du BTP s’approprie maintenant des technologies extrêmement intéressantes et qui vont certainement vite se démocratiser. Je pense à la réalité augmentée, la réalité virtuelle, les scanners 3D et ce n’est que le début.
Au niveau des logiciels, si je ne devais en citer qu’un, ça serait Autodesk Revit, Il fait très certainement parti des solutions qui ont permis au BIM de se démocratiser. Est-ce le meilleur ? Honnêtement, je n’en sais rien et peu m’importe, je sais juste qu’il correspond parfaitement à nos besoins et qu’il en a encore sous le capot ! Pour finir sur les logiciels, je citerai également Dynamo (NDLR : Module additionnel Autodesk), cet outil de programmation visuelle ne cesse de me bluffer !
Qui selon toi devrait être au départ et au centre du BIM et garant de la maquette ? L’Architecte, le BE, l’Entreprise, le bureau de synthèse ou autre ?
Vaste débat en perspective… Je dirais qu’il ne faut plus raisonner en terme de rôle mais plus en terme de compétences : chacun des acteurs peut porter la casquette de BIM manager. Selon les projets, le bon sens désignera aussi le bon intervenant (à compétences égales). Par exemple, pour un ouvrage industriel ou à forte technicité, il semble logique de confier le BIM management au BE Structure. Pour un hôpital ou un ouvrage où les fluides ont un impact significatif, il parait judicieux de confier cette mission au BE Fluides. Pour un projet de logements ou de bureaux, je pense que l’architecte est le mieux placé, etc. On peut aussi imaginer que certaines maîtrises d’ouvrages développent cette compétence.
Quels avantages avez-vous tiré du BIM dans votre entreprise ? Cela a-t-il changé votre organisation et votre vision ?
Tout d’abord, je parlerai de la cohérence des plans entre nos différents pôles d’activités. Le risque d’erreurs est quasi nul. Ensuite, il y a la productivité, certaines affaires, qui auraient nécessité deux personnes, ont pu être gérées par une seule. Nous sommes aussi plus réactifs, nous pouvons fournir aux entreprises des coupes et des perspectives complémentaires rapidement et à la demande.
En terme d’organisation, nous échangeons davantage : qui fait quoi, quand et pour qui ?
Tu as écrit récemment un très bel ouvrage sur la Structure et Revit que nous recommandons à nos lecteurs. Tu dois avoir beaucoup de succès ?
J’avoue être très fier de ce livre, c’est en quelque sorte mon “ bébé ” : 9 mois de travail récompensés par un accueil à la hauteur de mes espérances. Les retours sont unanimes et très positifs, je crois que le premier tirage est quasiment écoulé. Grâce à cet ouvrage, j’ai pu rencontrer et discuter avec beaucoup de monde et c’est vraiment génial. Tout ce que j’espère, c’est que les lecteurs ont pris autant de plaisir à le lire que moi à l’écrire. J’en profite pour remercier toute l’équipe d’Eyrolles (Antoine, Sophie, Elsa et les autres) qui m’ont accompagné tout au long de cette belle aventure.
Tu es très impliqué sur les forums et sur Pratiques du BIM notamment, bravo ! Que penses-tu sincèrement d’ABCD Blog et de son contenu ?
Je suis un boulimique d’informations, concernant le BIM et Revit, je surveille quotidiennement les flux RSS d’une soixantaine de sites ou blogs. Je me suis évidemment abonné à ton blog dès son premier jour. Ce que j’apprécie c’est la diversité des sujets traités et aussi sa complémentarité avec Village BIM (autre blog que j’adore). ABCD Blog est sans aucun doute une des meilleures sources d’informations pour qui s’intéresse au BIM. Longue vie à lui !
Pour conclure, je te remercie de m’avoir offert cet espace d’expression et j’espère avoir donné envie aux sceptiques ou aux néophytes de se lancer dans cette évolution incontournable qu’est le BIM 😉
Un grand merci Jonathan, nous sommes convaincus que ton interview de BIM Manager Passionné donnera envie à beaucoup de Professionnels de passer au BIM ! C’est à la fois très pragmatique et visionnaire pour la Profession. Nous retiendrons aussi le : Bâtir Intelligemment et Mieux ! Bravo…