BIM4LegalFR – BIM obligatoire, les experts français juridiques du domaine s’expriment en profondeur sur les questions relatives à ce questionnement récurrent

Une conversation indispensable et riche en enseignements autour du BIM Obligatoire !

La question du BIM obligatoire en marchés publics est souvent soulevée en France car nous sommes le seul pays à ne pas l’avoir rendu obligatoire. B4L Fr avait décidé d’y consacrer sa première « Conversations BIM 2024  » qui a eu lieu la semaine passée.
En parallèle, il est apparu intéressant d’interroger sur ce sujet les participants à la conférence. Découvrez l’ensemble de ces échanges passionnants ci-dessous. Espérons que cela pose les fondations d’un futur BIM obligatoire en France, seul pays important n’ayant pas légiféré à ce propos.

Les Experts qui travaillent d’arrache-pieds en permanence sur cette thématique sont :

Candice Hassine – COO DB-Lab
Cédric Bernard – Chercheur à l’Université Jean Moulin – Lyon 3, Chaire de droit des contrats publics
Florian Laurençon, Conseil aux Maîtres d’Ouvrage – MIQCP
Maître David Richard, Avocat au Barreau de Paris et Expert international du sujet BIM – Cabinet Lex Terra Avocats

Leurs propos ont été recueillis par Maître David RICHARD (Cabinet LTA).

Selon vous, quels sont les principaux enjeux associés à un BIM obligatoire en marchés publics ?

    Candice : Ils sont selon moi de trois ordres :

    • Enjeu n°01 : Traduire clairement les objectifs d’une telle réglementation, pour permettre un engagement de toutes les parties prenantes : les cas d’usages des maquettes BIM et les processus collaboratifs (entendus comme capacité d’échanges d’informations) sont nombreux, et surtout, ils servent différemment les phases ou encore les attentes de chaque acteur, clarifier les objectifs d’un BIM obligatoire me semble l’enjeu principal, car en l’absence de méthode explicite ou standardisée de fait ( i.e., constatée dans les usages), les objectifs vont permettre de donner du sens à la réglementation.
    • Enjeu n°02 : l’adoption réelle, et là on est sur la question de l’effectivité d’une telle réglementation. Envisager des modalités de mise en œuvre qui permettent une adoption réelle du ou des processus BIM
    • Enjeu n°03 : Cohérence avec les grands principes de la commande publique (transparence, égalité de traitement, libre accès).

    Cédric : l’enjeu principal d’un BIM obligatoire serait, à notre sens et au regard des résultats des recherches de terrain menées pour notre rapport sur la digitalisation de la commande publique, d’accroître l’efficacité de la commande publique et d’améliorer la gestion des projets d’infrastructures publiques en évitant d’éventuelles altérations de la mise en concurrence qu’emporteraient des appels d’offres exigeant l’utilisation d’un BIM.
    En somme, il s’agit de trouver un juste équilibre entre le BIM obligatoire et l’égalité d’accès et de traitement des candidats.
    Rendre obligatoire le BIM suggère que le marché français soit mature en la matière, ce qui ne semble pas actuellement le cas. Dès lors, un BIM obligatoire risquerait de favoriser certains opérateurs (pas forcément nationaux, d’ailleurs) au détriment d’autres, particulièrement les PME.

    Florian : L’enjeu principal pour les maîtres d’ouvrage publics serait, via l’obligation de contractualiser en BIM les commandes de MOE, de fiabiliser la trajectoire de leurs investissements et de mesurer et de projeter le futur bilan carbone des travaux comme de l’exploitation des ouvrages .Ainsi, dans l’optique de l’application de la RE2020, la transition numérique obligatoire constituerait le corollaire de la transition énergétique/écologique – quant à elle d’ores et déjà obligatoire – des équipements publics.

    Dans l’hypothèse d’un BIM obligatoire, quels seraient selon vous les principaux avantages liés à cette mesure et/ou les principaux inconvénients ?

      Candice : J’aime à considérer que le BIM est un vecteur puissant de transformation numérique et cela pour 3 raisons :

      • Il change l’approche de l’information, on passe de la notion de fichier à la notion d’objet (cela implique une autre manière de penser, on parle de conteneurs, de spatialisation d’informations) ; l’interaction avec les données est plus directe et démocratisée
      • Il encourage la collaboration, qui est l’un des piliers pour améliorer l’efficacité opérationnelle (cf. rappel sur le devoir de collaboration entre les constructeurs et mention de la technologie cloud qui permet cette pratique)
      • Il permet plus de clarté/transparence et il rend plus explicite les relations entre les responsabilités et les flux d’informations

      S’agissant des inconvénients, l’une des voies à ne pas suivre est celle de la complexification tant sur le plan contractuel que sur le plan opérationnel.

      Cédric : Dans le cadre des recherches pour notre rapport, nos enquêtés ont été majoritairement favorables au BIM et à sa généralisation. Si une reconnaissance du BIM en droit de la commande publique est attendue, l’instauration d’un BIM obligatoire ne fait pas l’unanimité. De notre côté, nous, les chercheurs de la Chaire estimons que le BIM obligatoire est l’occasion pour le droit de réceptionner une technique qui se développe à travers le monde en raison des avantages du BIM dans les projets de construction (réduction des impacts environnementaux, réduction des coûts financiers, meilleure gestion des difficultés d’exécution et de la planification du projet, traçabilité des modifications apportées au projet, etc.).
      De manière générale, l’instauration d’un BIM obligatoire serait un catalyseur de la transformation numérique du secteur de la construction et permettrait de déterminer des références communes pour le BIM au-delà des bonnes pratiques reprises par la norme NF EN ISO 22057.
      Plus spécifiquement, dans la commande publique, l’obligation de recourir au BIM permettrait d’accroître l’efficacité des projets publics grâce au BIM (et à terme, le jumeau numérique) grâce à une meilleure vision globale du chantier depuis la phase de conception jusqu’à sa réalisation, et même lors des phases d’exploitation et de maintenance de l’ouvrage construit (à condition que la maquette soit transmise à l’entreprise en charge de l’exploitation et de la maintenance). Le développement du BIM, associé à l’IA, permet également d’accroître la qualité des projets en déterminant les matériaux les plus adéquats et d’intégrer une démarche environnementale tout au long du cycle de vie du projet et de l’ouvrage. Enfin, nous pouvons aussi mentionner la capacité pour le BIM de faciliter la résolution des différends en raison d’une meilleure gestion des risques du projet et une meilleure compréhension de la répartition des rôles et responsabilités de chaque intervenant.
      Malgré les inconvénients à court terme (par exemple : le prix d’une telle transformation numérique pour les acheteurs et les entreprises, la nécessité de former au BIM, le coût des spécialistes en BIM, l’altération éventuelle de la mise en concurrence, l’augmentation du prix des offres et parfois l’interopérabilité des logiciels BIM), à moyen et long termes, l’instauration d’un BIM obligatoire serait bénéfique pour le suivi et la gestion des contrats de la commande publique.

      Florian : Je confirme ce qui vient d’être indiqué, les avantages sont multiples :

      • Gains dans la phase de conception, avec l’intégration en avance de phase des métiers qui concourent à une conception de qualité
      • Intégration et résolution ex ante des « conflits » réglementaires et/ou conceptuels
      • Meilleure anticipation des calendriers et des approvisionnements
      • Sécurisation de la main-d’œuvre sur les chantiers par la facilitation et l’anticipation des ouvrages transitoires
      • Sécurisation des investisseurs, en réduisant l’écart entre la projection et l’atterrissage au moment de la réalisation, puis de l’exploitation
      • Intégration en avance de phase des innovations législatives et réglementaires en matière environnementale et autres
      • Valorisation du dossier des ouvrages exécutés en vue de son utilisation ultérieure tout au long de la vie de l’équipement

      Les inconvénients, outre ceux déjà cités :

      • Dépendance vis-à-vis des éditeurs, avec la problématique de l’interopérabilité ultérieure des fichiers natifs
      • Coût d’entrée pour les PME et la maîtrise d’ouvrage
      • Adaptabilité de la maquette conception à la gestion, exploitation et maintenance
      • Capacité des services instructeurs à s’adapter à la transition numérique dans la perspective d’un PC BIM

      Certains acteurs considèrent qu’un BIM obligatoire n’aurait pas réellement d’effet d’entraînement, voire favoriserait des stratégies de contournement, d’autres à l’inverse pensent qu’elle telle mesure permettrait de structurer le processus BIM, et par-là d’accompagner son développement. Que pensez-vous de cette approche qui reprend au fond une opposition classique obligation versus adhésion ?

        Candice : D’un côté , apprécier comment les acteurs adhèrent est une tâche fastidieuse et imaginer des processus complets et uniformes pour tous paraît irréaliste.
        D’autre part, on ne peut jamais être sûr des effets , il faut identifier et accepter une marge d’erreur et les envisager comme une meilleure connaissance du secteur propice aux améliorations.

        Cédric : Pour répondre à cette question, je pense qu’il suffit d’orienter le regard au-delà de nos frontières. D’une part, de plus en plus d’États rendent le BIM obligatoire (récemment un décret portugais de janvier 2024 impose l’utilisation du BIM à compter du 1er janvier 2030), ceci montrant les limites d’une politique incitative reposant sur l’adhésion, d’autant que de nombreux acheteurs risquent de mettre du temps à intégrer le BIM dans leurs marchés par manque d’expertise.
        D’autre part, les entreprises anglo-saxonnes ont une avance importante en matière de BIM et, à mesure que la réglementation française ne reconnaît pas le BIM ou ne le rend pas obligatoire, l’écart entre la France et la Grande-Bretagne est susceptible de s’accroître. Certes, le marché de la construction peut, à terme, forcer l’ensemble des acteurs à adhérer au BIM. La question est, en l’absence de BIM obligatoire : dans combien de temps ? Et, à ce moment-là, qui aura le plus d’avantages commerciaux : les entreprises nationales ou étrangères ? Le BIM obligatoire est alors une question de souveraineté économique nationale.

        Florian : La recherche de l’adhésion a toujours paru préférable afin de ne pas augmenter l’écart entre les maîtres d’ouvrage occasionnels et ceux qui ont déjà effectué leur aggiornamento.
        De même, en matière d’égalité de traitement devant la commande publique et d’accessibilité de celle-ci aux PME/TPE, une montée en charge progressive semble mieux à même de préserver la filière d’une hyperconcentration vers les grandes entreprises, ayant consenti à des investissements d’ampleur, tant la formation de leur personnel que dans les moyens mis à leur disposition.

        D’évidence, la mise en place de BIM obligatoires a permis l’essor du BIM et sa maturité dans certains pays. Ces exemples ont-ils un intérêt en France ? Et, quelles sont leurs limites ?

          Candice : S’agissant des limites d’abord, le premier facteur est d’ordre culturel, et chaque réglementation intègre cette notion. Cependant, j’ai une affection pour les initiatives à l’instar de l’Irlande qui ont utilisé le BIM pour rendre effectifs leurs objectifs environnementaux, la publication de jeux de données (interopérables) permettant d’uniformiser la connaissance des performances d’un bâtiment et par là même d’agréger celles de tout un patrimoine représentent un levier majeur pour vérifier l’atteinte des performances attendues et de les suivre.

          Cédric : Au sein de la Chaire, nous estimons que, de manière générale, les réglementations étrangères sont des sources précieuses d’enseignement de ce qui est ou non pertinent. Notre directeur, le Professeur François Lichère est d’ailleurs très actif au sein de la communauté scientifique européenne, en particulier dans le groupe de recherche EPLG (European Procurement Law Group).
          S’agissant du BIM obligatoire, les expériences étrangères se focalisent majoritairement sur une obligation limitée à certains marchés (et non à tout marché de travaux). Pour exemple, en Allemagne, le BIM est obligatoire depuis 2020 pour les projets publics d’infrastructures de transport, et, en Italie, cette obligation est centrée sur les projets complexes de plus de 15 millions d’euros depuis 2022.
          Dans notre rapport de décembre 2023, nous suggérons qu’une analyse comparative (au moins au niveau européen) soit entreprise pour déterminer les meilleures conditions d’un BIM obligatoire notamment concernant les seuils adéquats et/ou les secteurs pertinents étant donné que nous ne recommandons l’instauration d’un BIM que pour certains projets en raison du montant et/ou du secteur.

          Florian : Il importe de questionner le périmètre de la notion d’obligation : le BIM peut devenir obligatoire dans la relation contractuelle entre MOA et MOE, cela n’implique pas que le PC soit obligatoirement instruit en BIM ; or ce serait cette étape qui permettrait un essor proprement dit, avec le risque d’une adaptation à marche forcée des services instructeurs des villes, EPCI et de l’État (DDT, DREAL, UDAP).
          Une approche différenciée selon les types d’ouvrage, comme mentionné supra, serait quoiqu’il en soit une nécessité afin d’éviter un décrochage de toute une partie des MOA et du secteur économique.

          Au regard de l’état du débat en France sur la question du BIM obligatoire, pensez-vous qu’une telle mesure puisse être mise en œuvre à court terme, à moyen terme, ou bien qu’il est difficile de se prononcer sur ce point ?

            Candice : Il est toujours difficile d’envisager ce type de question Mon impression irait à une mise en œuvre à court terme pour des raisons connexes au BIM, plus générales.
            D’une part, les questions liées à la qualité des données, leur exploitabilité sont au cœur des transformations numériques et plus généralement tout système visant à établir une meilleure connaissance des actifs bâtis et de leur impact carbone ou de leur efficacité et énergétique vont devenir des leviers pour l’amélioration des décisions publiques (et par là même leur légitimation), il me semble assez “ naturel” que le BIM soit intégré dans cette vague de mutations. Je mentionnerai comme exemple la conférence nationale de l’immobilier public dédiée au système d’information de l’État qui s’est tenue le 29 mars dernier et qui annonce ses 4 grands chantiers à savoir : socle de gestion “ inventaire”, GED, valorisation des données, APIsation.

            Cédric : Au regard de l’ampleur d’une telle évolution juridique, le BIM obligatoire (pour certains projets publics) ne saurait être d’application immédiate. En effet, les acheteurs concernés par cette obligation doivent avoir le temps nécessaire pour investir dans des solutions BIM, pour se former, pour recruter le personnel compétent, pour adapter leurs process internes, ou encore pour accompagner les acteurs opérationnels.
            Un temps nécessaire d’adaptation et d’accompagnement pour prendre en compte cette solution semble donc impératif.
            Un délai est également souhaitable pour les opérateurs économiques afin d’éviter une trop forte altération de la mise en concurrence.
            C’est pourquoi, le BIM obligatoire ne saurait entrer en vigueur à court terme. Dans notre rapport de décembre 2023, nous expliquons qu’une telle obligation ne pourrait entrer en vigueur avant le 1er janvier 2026 (dans les hypothèses les plus optimistes), d’autant qu’un temps de concertation est indispensable pour l’édiction des décrets d’application déterminant les seuils et/ou secteurs du BIM obligatoire.
            La concertation avec les entreprises du secteur de la construction, les architectes, les ingénieurs, les acheteurs publics et des juristes spécialisés dans le BIM ne saurait être ignorée pour que cette réforme soit adaptée à la pratique et efficace.

            Florian : Concernant l’évolution sur le plan juridique et sa temporalité, l’essentiel a été dit supra ; sur le plan opérationnel et institutionnel, l’entrée en vigueur d’une telle obligation ne saurait être raisonnablement envisagée qu’à moyen terme, afin d’organiser la transformation administrative et organisationnelle qui en découle, et de bien clarifier la temporalité du retour sur investissement pour les MOA.
            Il importe en effet de prendre en considération la courbe de surcroît d’investissement au terme de laquelle seulement des gains d’efficience et des retombées d’échelle seront envisageables.

            Considérez-vous que le BIM obligatoire nécessiterait une modification importante du code de la commande publique ? Ou alors que cette mesure se traduirait-elle seulement par une retouche succincte des textes en vigueur ?

              Cédric : Le Code de la commande publique ne semble pas nécessiter une révision en profondeur pour reconnaître le BIM, non plus pour le rendre obligatoire. À mon sens, le pouvoir exécutif pourrait par voie réglementaire instaurer le BIM obligatoire – la réforme pourrait être mise en œuvre plus rapidement que si nous devions réviser en profondeur le Code de la commande publique avec le pouvoir législatif.
              Sur la réforme en elle-même, je vous invite à consulter la recommandation n° 3 de notre rapport publié en décembre 2023. La Chaire y propose une réforme du Code de la commande publique à deux niveaux.
              Le premier niveau est celui de la reconnaissance et de l’encadrement du BIM dans le code par l’ajout des articles R. 2132-10-1 (marché) et R. 3122-19 (concession) pour permettre aux autorités contractantes d’exiger le recours au BIM dans certaines phases du projet (conception, réalisation, exploitation, maintenance) tout en garantissant l’égal accès des candidats et des soumissionnaires.
              Le second niveau est celui du recours obligatoire au processus BIM, prescrit par des articles R. 2132-10-2 (marché) et R. 3122-20 (concession) pour des contrats de construction ou de réhabilitation d’un ouvrage dont la liste serait déterminée par décret en Conseil d’État en fonction de la nature du projet et du montant hors-taxes de la valeur estimée du contrat. Conscients que l’obligation de recourir au BIM ne saurait être intangible, nous avons également prévu à l’image de l’obligation d’allotir (Code de la commande publique, art. L. 2113-10 et L. 2113-11), la possibilité pour chaque autorité contractante de déroger à cette obligation en justifiant du non-recours au BIM. En effet, certaines circonstances peuvent amener à rendre la solution BIM non pertinente ou impossible à mettre en place. L’obligation doit être le principe, mais elle ne doit pas être absolue : y déroger est indispensable pour assurer l’efficacité de la commande publique.

              Florian : La MIQCP est formelle sur ce point : rien dans l’éventualité d’un BIM rendu plus ou moins obligatoire n’aurait d’incidence quant au phasage et aux éléments de mission décrits dans l’annexe 20 du CCP, qui reprend in extenso le texte de la loi de 1985 dite « loi MOP » et celui de son décret d’application de 1993. En outre, le CCAG MOE de 2021 prévoit le recours au BIM : le cadre réglementaire adapté existe donc déjà et ne nécessite aucun infléchissement sur le plan législatif ni sur le plan réglementaire.
              En revanche, le BIM aura pour effet de modifier les usages en matière de rémunération de la MOE par la MOA, avec une rémunération anticipée des BET et autres membres des groupements de MOE, dès lors qu’ils interagissent plus précocement sur la ou les maquettes BIM.

              Percevez-vous des différences entre les différentes maîtrises d’ouvrage publiques (ex : État Vs collectivités) au regard d’un BIM obligatoire ?

                Candice : Bien entendu, cela reflète la disparité des ouvrages/ constructions et du degré de professionnalisation des MO ou des directions patrimoniales et techniques.
                J’ai toutefois pu agréablement constater sur des collectivités de type “moyennes communes” une bonne compréhension du BIM, mais surtout un vif intérêt pour la centralisation des informations et la création de flux de partage maîtrisés.

                Cédric : Forcément, nous pensons avant tout aux petites collectivités qui n’ont pas les moyens financiers, techniques et humains pour gérer une telle obligation. Pour autant, elles pourront se faire accompagner par des AMO ou des MOE dans leurs projets d’infrastructures. Certes, le prix de l’achat augmente, mais elles s’assurent de la bonne exécution du chantier et éventuellement de la durabilité de l’ouvrage.
                J’ajouterai que de grands donneurs d’ordres publics ne sont pas, comme les plus petits, plus familiers du BIM. Lors de nos enquêtes de terrain, nous avons été surpris par le faible intérêt porté par certains juristes des autorités contractantes au BIM par manque d’expertise, mais surtout par manque d’expérience. Le BIM est un processus encore récent pour eux. Sauf que, à l’inverse des petits acheteurs, les grands organismes publics (État, établissements publics de l’État, régions, départements, métropoles, etc.) pourront mobiliser plus facilement des moyens financiers afin de former leurs agents ou de se faire accompagner en matière de BIM.
                Donc, oui, il y a des différences opérationnelles entre ces différentes maîtrises d’ouvrage publiques.

                Florian : Si disparité il y a , et la MIQCP le constate quotidiennement, entre les MOA, la frontière n’est pas entre Etat/collectivités/hôpitaux : elle se situe plutôt dans la différence entre MOA occasionnel/MOA ayant un volume permanent de commandes.
                Il y a plus de 50000 MOA publics en France, dont les deux tiers sont des maîtres d’ouvrage occasionnels (communes de moins de 2000 habitants, SIVU, syndicats mixtes, petits bailleurs sociaux) : le premier tiers , constitué des grands donneurs d’ordre gérant des parcs très conséquents, a largement emboîté le pas du BIM, et ce depuis des années : tous disposent d’ailleurs d’une charte BIM et le pratiquent de manière quasi obligatoire dans leur commande au long cours ; en revanche : les MOA occasionnels qui ont en charge des équipements de première nécessité au premier rang desquels les écoles, stations d’épuration, centres de tri des déchets, centres sociaux, etc. sont en situation de difficile raccrochage face aux évolutions technologiques, faute en grande partie à leur capacité à mobiliser des ressources et des compétences adaptées ; comme mentionné supra.

                Dans l’hypothèse d’un BIM obligatoire, différents scénarios seraient envisageables sur la base de votre expertise, estimez-vous :
                a. Qu’il est préférable d’opter pour une obligation large ou une obligation thématique ?

                Candice : Pour aller dans le sens de la loi MOP, un distinguo entre les opérations d’infrastructure et de bâtiments (y compris une discussion entre réhabilitation et de construction neuve) paraît pertinent, car les problématiques d’acquisition de données sont très différentes comme les techniques de construction. Une adoption large pour les grands projets donnerait un grand élan tout en faisant figure d’exemple.
                On pourrait même envisager une segmentation par type de bâtiments, qui est largement utilisée par les réglementations qui touchent à l’acte de construire…

                  Cédric : Dans un premier temps, et c’est ce que recommande la Chaire dans son dernier rapport, il convient de se focaliser sur certains projets de construction ou de réhabilitation d’un ouvrage dont la liste serait déterminée par décret en Conseil d’État en fonction de la nature du projet et du montant hors-taxes de la valeur estimée du contrat.
                  La généralisation à tous travaux de construction, éventuellement en deçà d’un seuil, pourrait arriver quelques années après, le temps pour le secteur de la construction de s’adapter à cette évolution technologique.

                  Florian : L’idée d’un seuil lié au budget prévisionnel pourrait avoir sa pertinence, croisé avec le niveau de complexité de l’ouvrage : lycées, universités, centres hospitaliers, infrastructures.
                  Le BIM est notamment un vecteur de meilleure anticipation de la RE2020, et ces grands ouvrages (en incluant les réhabilitations lourdes) pourraient tenir lieu de périmètre expérimental avant généralisation. Cela conduirait à se servir des MOA qui pratiquent de fait le BIM obligatoire comme prototypes, afin de dresser un bilan intermédiaire et de proposer des ajustements avant de généraliser .

                  b. Qu’en se positionnant sur un BIM thématique, un BIM obligatoire relais de la RE2020 aurait-il un intérêt ?

                  Candice : C’est l’une de mes questions préférées. J’aime bien l’idée d’un jeu de données dédié à la RE ou à l’ACV ou encore aux obligations de réemploi qui permettrait d’unifier les calculs et les résultats sans préjudice des possibilités en termes de contrôle après livraison et d’agrégation de données sur plusieurs bâtiments.

                  Cédric : Ceci me semble souhaitable, tant le BIM offre des outils intéressants pour assurer une démarche environnementale durable et écoresponsable, d’autant plus à l’heure où le Législateur attribue à la commande publique de plus en plus d’objectifs environnementaux.

                  Florian : L’intérêt principal pour les MOA publics est aujourd’hui l’adaptation aux ambitions et obligations de la RE2020 ; le BIM obligatoire serait ainsi le corollaire sur le plan numérique des obligations découlant de la transition écologique .

                  c. De même, des liens peuvent-ils être imaginés avec la dématérialisation des autorisations d’urbanisme ?

                  Candice : Oui tout à fait, je pense que l’on sous-estime les professionnels à identifier les informations dont ils sont responsables, et cela va dans le sens de ce qui se pratique dans d’autres états.

                  Cédric : Cela me semble, en l’état actuel des moyens à disposition des autorités publiques et des entreprises, assez difficile à mettre en œuvre déjà que l’interopérabilité des solutions BIM actuelles n’est parfois pas optimale.
                  J’aperçois les avantages que peuvent produire une liaison entre un processus BIM pour un projet de construction et la délivrance d’un permis de construire, suivis du contrôle par les services urbanistiques des communes ou des EPCI.
                  Toutefois, il me semble que lier le BIM à la dématérialisation des autorisations d’urbanisme est un peu précoce. L’étude de la récente réglementation dubaïote exigeant une maquette BIM pour la délivrance de permis de construire doit attirer notre attention sur cette question.
                  Pour l’heure, rendons obligatoire le BIM pour certains contrats de la commande publique, puis avisons ensuite des liens avec les autorisations d’urbanisme.

                  Florian : Le BIM rendu obligatoire pour le dépôt des PC serait le seul levier à même de produire un véritable essor ; cela en outre aurait la vertu d’homogénéiser les pratiques de chaque administration en matière d’instruction , et de ramener dans des délais plus raisonnables que ne le sont aujourd’hui les temps de l’instruction.
                  Enfin, le PC BIM limiterait la part d’arbitraire – réel ou ressenti – dans l’appréciation des demandes d’autorisation par chaque service instructeur.

                  d. Que les seuils de marchés publics de travaux actuels (pour rappel en HT 40K€, 100 k€, 5382 K€ et + 5382 K€) vous semblent-ils pertinents dans la perspective d’un BIM obligatoire ? À défaut, comment pourrait-on procéder ?

                  Candice : La question du champ d’application du BIM obligatoire est intimement liée aux objectifs visés par le BIM. Je pense que les seuils de marchés ne sont pas forcément révélateurs de la structure des opérations de construction en France ou de la typologie des ouvrages ou encore des différentes maîtrises d’ouvrage public.

                  Cédric : Là-encore, puisque le BIM n’est pas suffisamment mature en France, se référer aux seuils des procédures adaptées ou formalisées n’est pas une solution pertinente, à mon sens. Il faut, pour l’heure, réserver le BIM obligatoire aux projets publics d’une certaine ampleur financière. Si nous regardons le cas de l’Italie, le recours au BIM est obligatoire au-deçà de 15000k€. Dans notre recommandation, nous n’avons pas souhaité déterminer un seuil spécifique. Il faut éviter les seuils arbitraires et privilégier une démarche constructive pour établir un seuil adéquat au regard des avantages que procure le BIM et du coût (en termes d’investissement financier, technique et humain) de son déploiement dans le contexte actuel de faible maturité du marché.

                  Florian : Je partage ces analyses. Il n’y a pas de pertinence à corréler les seuils actuels de la commande publique et les seuils de BIM obligatoire ; en un sens, l’exemple italien pourrait avoir sa pertinence, mais il nécessiterait d’être étudié de près.

                  Candice : La temporalité des usages et processus BIM est un aspect important, les phases existent quel que soit le mode contractuel et font état de différents intervenants, avec différentes missions et obligations, je pense que c’est également un bon moyen pour inviter les MO à réfléchir, et plein d’ailleurs le font déjà, sur leurs attentes en termes de BIM.

                  Cédric : Au minimum, il conviendrait de distinguer la conception-réalisation de l’exploitation-maintenance. Lors de nos enquêtes de terrain, un participant soulignait que le BIM ne semble pas forcément utile pour l’exploitation et la maintenance d’un ouvrage classique comme de simples bureaux. En revanche, d’autres enquêtés estiment qu’il est opportun de prévoir (en particulier lorsque l’ouvrage sera exploité par un opérateur privé) la transmission du BIM réalisé pour la conception-réalisation à l’entreprise en charge de l’exploitation et de la maintenance de l’ouvrage.

                  Florian : Le BIM n’a d’intérêt véritable que s’il permet d’embrasser l’ouvrage sur l’entièreté de sa durée de vie. La maquette d’exploitation doit donc être tirée de la maquette de conception.
                  Pour autant, toutes les données de la maquette conception ne sont pas pertinentes ni utiles pour l’exploitation. Il conviendrait donc d’envisager plutôt une élaboration d’une maquette BIM GEM plus simple, élaborée sur la base d’un DOE simplifié.

                  f. Qu’un calendrier d’application serait nécessaire (marchés + 5382 K€ application immédiate, – 5382 K€ application à 5 ans) ?

                  Candice : Oui tout à fait, ce type de calendrier permettrait de rendre progressive l’application d’une telle réglementation, après, il resterait la question pour les petites opérations qui relèvent de la maintenance ou du gros entretien renouvellement. Dans la pratique que j’ai pu constater des marchés de travaux, il y a les marchés à bons de commande qui sont utilisés pour des travaux dont les montants peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros, il faudra donc penser la réglementation en intégrant cette pratique.

                  Cédric : Un calendrier d’application est nécessaire, oui, surtout pour permettre aux acheteurs et aux entreprises de s’adapter à cette évolution. Comme nous avons pu le dire précédemment, il ne faut pas précipiter les choses pour s’assurer de l’efficacité de cette réforme.

                  Florian : La progressivité est indéniablement le facteur de réussite d’une éventuelle expérimentation. Corréler sa temporalité à des seuils est une possibilité ; la corréler également aux obligations de correspondance aux objectifs de la RE2020 aurait pour les MOA le mérité de la lisibilité et de la cohérence. En outre, cela éviterait de dissocier numérique/écologie, qui sont liés intrinsèquement pour la puissance publique.

                  g. Que des mesures d’accompagnement d’un BIM obligatoire seraient un complément indispensable ? Et, si oui lesquelles ?

                  Candice : la MIQCP va être très sollicitée 🙂 outre les formations techniques sur les outils ou l’environnement technologique du BIM, le premier accompagnement qui s’apparente plutôt à une assistance stratégique concernant les objectifs du BIM : identifier la valeur apportée et pouvoir utiliser les résultats et les rendre disponibles dans d’autres environnements numériques.

                  Cédric : Le marché n’étant pas mature, le BIM obligatoire doit impérativement s’accompagner d’une ouverture du BIM à l’ensemble des opérateurs économiques intéressés afin d’éviter toute discrimination dans la mise en concurrence.
                  Les acheteurs publics doivent s’assurer de mettre à disposition de chaque candidat un logiciel libre de droit permettant de lire et éditer les données du BIM.
                  L’État devrait également accompagner les acheteurs publics (surtout les plus petits organismes publics) dans leur transformation numérique à travers, notamment, la DAJ (par la publication de guides) et de subventions pour financer des outils appropriés et recruter des spécialistes en BIM.
                  Les CCI, des fédérations ou associations nationales comme la FNTP, ou encore l’Ordre des architectes pourraient également accompagner les entreprises (principalement les PME) dans leur utilisation du BIM.

                  Florian : L’hypothèse de logiciels libres est un préalable, sauf à admettre une réduction de fait de l’égalité devant la commande publique. La mobilisation de services de l’État au service des territoires, tels que l’ANCT serait également nécessaire pour limiter le décrochage et le découragement d’une large partie du bloc communal.

                  Dans un contexte de déferlement de l’IA dans le secteur de la construction, pensez-vous qu’il faille redonner de la vigueur au sujet du BIM, notamment obligatoire, car il est l’un des éléments fondamentaux qui permettront de générer de la data pour l’IA ?

                    Candice : C’est même l’occasion de redonner son sens plein et entier au BIM. Concernant le BIM et l’IA, votre question soulève justement l’exploitation du BIM par l’IA et de ce point de vue, on adresse une multitude de possibilités : modélisation et augmentation des connaissances, simulation, analyse de données, aide à la décision etc.. Il y a également un autre aspect qui est celui de l’intégration des données dans les modèles BIM et l’IA est amenée à jouer un rôle important notamment dans le traitement d’informations issues de différentes sources ( IoT, images, etc..). Sans être exhaustive sur les potentialités de l’IA dans le secteur de la construction, l’aspect bidirectionnel entre les modèles BIM et l’IA, à savoir l’analyse des modèles et l’intégration des données dans les modèles, clairement défini par le Professeur David Bassir de l’ENS, permet de penser que le BIM sera incontournable et constitue mon axe de recherche actuel.
                    De plus, j’ai la chance, actuellement, de participer à un projet où les maquettes BIM sont couplées à des IA, et, c’est bien parce que nous disposons d’une masse de données importantes que nous pouvons aller plus loin dans les processus d’automatisation et d’amélioration.
                    En bref, je pense clairement que l’IA va propulser le BIM. Pour revenir sur l’aspect juridique, le BIM est un sujet, l’IA en est un autre beaucoup plus complexe, les deux combinés vont avoir un impact très fort sur la pratique juridique, et j’espère que l’on mettra en perspective des obligations, les moyens permettant l’effectivité du droit.

                    Pensez-vous que l’action du Plan BIM puisse être un levier au regard du BIM obligatoire ?

                      Candice : Dans la mesure où il oeuvre à la sensibilisation et l’accompagnement, le Plan BIM constitue un guide qui peut tout à fait changer de statut et devenir un dispositif d’application du BIM obligatoire. Si l’on associe les travaux de la MIQCP, de la DIE et de la DAJ, du CEREMA et de l’ADEME, on peut même parler d’un puissant levier.

                      Cédric : C’est une première étape bienvenue. Je le vois d’ailleurs comme une sorte de teaser d’un BIM obligatoire, car le Plan BIM confirme l’intérêt de l’État pour le développement du BIM. Les deux axes ne laissent aucun doute sur l’avenir :

                      • Axe 1 : Généraliser la commande en BIM dans l’ensemble du bâtiment en fiabilisant les pratiques et en sécurisant l’ensemble des acteurs grâce à des définitions claires et équilibrées des attentes et responsabilités de chacun.
                      • Axe 2 : « Déployer le BIM dans les territoires et pour tous, grâce aux outils adaptés. » « Généraliser » et « Déployer […] pour tous » : ces deux objectifs permettent de réduire les appréhensions et éventuels obstacles au BIM obligatoire. La mise en place d’un outil d’accompagnement à la rédaction des cahiers des charges BIM (Orélie) et d’une plateforme pour la formation au BIM (pratiquerlebim.fr) témoignent de cette volonté des autorités publiques de favoriser l’essor du numérique dans le secteur du bâtiment. Je suis plutôt enthousiaste et optimiste sur l’avenir, car tous les voyants semblent au vert, à la fois du côté de l’État, que de celui de la société civile (praticiens, entreprises, conseils, etc.).

                      Souhaitez-vous aborder un sujet complémentaire en guise de conclusion ?

                        Candice : Le BIM est l’un des leviers de la transformation numérique du secteur et c’est un formidable outil pour tous les acteurs? Maintenant, un cap doit être franchi pour rendre les données accessibles, partageables et réutilisables. La digitalisation des processus et les technologies transforment fondamentalement le travail de chacun, qui se veut engagé et collaboratif sous réserve que l’on soit capable de générer de la confiance et de la transparence, et là, le droit a un rôle très structurant et fédérateur à jouer.

                        Florian : La transition numérique du bâtiment est indissociable de la transition écologique : c’est en ce sens que le BIM obligatoire pourrait avoir non seulement une utilité, mais encore une légitimité sur le plan des politiques publiques.

                        Merci à toutes et à tous pour vos réponses éclairées et cet échange passionnant.

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