[Evasion] La toue cabanée, un nouvel habitat nomade et BIMé Breton nommé « Lulu Balthazar »

Lulu Balthazar, un voyage poétique sur les rives de l’Erdre

Nous partons cette semaine pour un beau, poétique et insolite voyage avec l’agence SONA, sur un bateau, ou plutôt une toue cabanée. SONA, ce sont nos surdoués du BIM breton que nous aimons beaucoup, aussi inventeurs de l’ancien NARUG (Nantes Atlantique Revit User Group) rebaptisé depuis peu le WestBIM : Pierre Navarra et Emmanuel Sorin. C’est aussi Pierre et Julie Guézo, les talentueux rédacteurs du bel ouvrage « Revit Architecture » aux Editions Eyrolles.

Qui dit Bretagne dit pays des bateaux ! Qui aurait pu imaginé qu’un bateau puisse être conçu et aménagé grâce au BIM ? C’est le rêve que Pierre Navarra, co-fondateur de l’Agence SONA a réalisé. Mais plongeons-nous dans cette belle histoire.

Bonjour Pierre, ravi de te recevoir sur ABCD Blog. Du temps a passé. Comment se porte SONA, ta belle Agence experte du BIM et quelles sont vos actualités ?

Bonjour Emmanuel, je te remercie de me recevoir sur ABCD Blog. C’est à chaque fois un plaisir partagé. Pour répondre à ta question, la recherche et l’apprentissage faisant partie de l’ADN de SONA, je dirais que nous essayons constamment de nous maintenir en mouvement. En ce début d’année, l’agence SONA a rejoint l’incubateur Centrale-Audencia-Ensa dont la finalité est d’accompagner les entreprises innovantes en région Pays-de-Loire. Et pourquoi me diras-tu ? Car nous nous sommes lancés dans le développement d’une solution collaborative appelée MyPlayTown. Nous aimerions détourner et sublimer les méthodes d’échanges des constructeurs de demain.  Ce projet nous prend beaucoup de temps, en plus de notre activité principale qui est la maîtrise d’œuvre, mais cela nous amuse bien et c’est essentiel pour nous tous.

Pour ceux qui ne vous connaissent pas, quelles sont vos spécialités, projets références, histoire et équipe ?

Eh bien, comme un dessin vaut bien mieux qu’un long discours, je vous laisse découvrir cette planche qui résume, je pense, assez bien ce que nous faisons. Bref, SONA a plusieurs cordes à son arc.

Toujours aussi créatifs 🙂 Passons maintenant à la toue cabanée passive et quasi-autonome. Quel beau projet. Comment et pourquoi t’est venue cette belle idée ? Et qu’est-ce qu’une « toue » ?

Il existe à Nantes un lieu baptisé « le bassin Saint-Félix ». Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, en voici une photo.

Nous sommes ici en plein centre de Nantes, c’est un chouette quartier très proche de la nouvelle gare (redessinée par Rudy Ricciotti) et de la cité des congrès conçue par Yves Lion. Le prix du logement au m² avoisine ici les 6000€ et l’occasion de pouvoir trouver un terrain nu de toute construction est quasi-nulle. C’est en observant un moment le bassin lors de mes pérégrinations, que j’ai noté qu’il y avait une activité autour des pontons de plaisance. Alors je me suis dit : pourquoi ne viendrais-je pas vivre ici et puis tant qu’à faire, pourquoi ne possèderais-je pas mon propre bateau avec lequel je pourrais naviguer et découvrir la Loire, l’Erdre et le canal de Nantes à Brest ? C’est de là qu’est née l’idée d’habiter ici.

La toue cabanée était une évidence car le tirant d’eau est par ici très faible (moins d’un mètre par endroit). Et puis la toue cabanée fait partie du patrimoine ligérien. C’est un bateau à fond plat, à proue large et à faible tirant d’eau, traditionnellement utilisé pour la pêche, l’extraction de sable ou le transport de marchandises.

C’est une sorte de projet hors site et hautement collaboratif. Quels acteurs ont été impliqués ? Sont-ils des professionnels que l’on n’a pas l’habitude de voir sur un projet ?

Ah, je te reconnais bien là Emmanuel ! N’attendons pas pour parler de cela tu as raison, oui, c’est un projet personnel nourri de l’expérience de la méthode collaborative BIM que nous abordons pour tous nos projets. Les acteurs impliqués ici sont nombreux : un architecte naval, un jeune architecte passionné de combi VW, une entreprise de Tiny House, un bureau d’étude fluides, un fabricant de cuves, un électricien spécialisé dans les énergies renouvelables, des artisans plombier, un carreleur, une éclairagiste et un couvreur spécialisé dans le patrimoine. Aucun, mis à part le bureau d’études fluides n’est familier avec la méthode collaborative BIM. Mais ils ont tous un point commun entièrement compatible avec cette méthode : ils sont curieux et n’ont pas peur d’utiliser de nouvelles méthodes.

Quelles étaient les contraintes et objectifs que vous vous étiez fixés ?

Les contraintes étaient les suivantes :

  • Le gabarit maximum autorisé de passage du bateau aux écluses,
  • La hauteur libre des ponts, le tirant d’eau et la taille maximum d’accueil d’un bateau au ponton,
  • Une consommation réduite tant en mode nomade qu’en mode sédentaire,
  • Faire intervenir des acteurs locaux, limiter les déplacements et notre impact sur l’environnement.
Coupe sur la toue – Autodesk Revit

Quel est le programme architectural et les surfaces correspondantes ? Y-a-t-il un parti spécifique ?

Nous souhaitions nous y sentir bien, voir l’eau, être baignés de lumière à tel point que nous ne puissions plus faire la différence entre le dedans et le dehors, pouvoir disposer de trois chambres, rester, naviguer, partager, vivre. Les surfaces sont les suivantes : habitable : 33m², et 20m² de terrasses extérieures. Voici quelques croquis qui nous ont aidé à nourrir nos réflexions. J’ai rempli trois carnets Moleskine pour ce projet !

Le BIM était-il uniquement un souhait ou plutôt une évidence ?

Le BIM a été l’un des éléments clés de la réussite de ce projet, c’est certain. Il nous a énormément servi ! Mais le BIM, c’est avant tout et surtout tous ensemble autour d’une table : si ces deux ingrédients sont réunis, alors « c’est là que le sport commence !»

Vous a-t-il permis d’atteindre des objectifs particuliers tels que la constructibilité ou les performances énergétiques ?

Carrément ! Voici une liste non exhaustive des points pour lesquels le BIM s’est montré indispensable :

  1. Faire rentrer les trois carnets Moleskine dans un environnement 3D
  2. Réalisation d’une étude fluides et d’un suivi PHPP (Passive House Planning Package)
  3. Enrichir les réunions de synthèse autour des différentes maquettes (coque, habitation, réseaux, cuves, éclairage, etc.)
  4. Réalisation des métrés, ajustement des prix relatifs aux quantités extraites de la maquette
  5. Ajustement au gabarit
  6. Calcul de la répartition des charges

Au niveau environnemental, est-ce un bâtiment flottant éco-efficient ?

Nous l’espérons et nous avons beaucoup œuvré pour faire en sorte que la toue ait un impact réduit sur l’environnement.

  • Tous les artisans étaient concentrés dans un seul et même département
  • Nous récupérons et stockons nos eaux (l’eau de pluie par exemple nous sert pour les toilettes et la machine à laver le linge)
  • Nous sommes équipés de panneaux solaires
  • Notre réseau électrique est optimisé et les champs magnétiques et électriques sont réduits
  • Le bois utilisé pour la partie « cabane » vient d’une scierie locale
  • L’isolation est à base de laine de bois (nous n’avons pas pu nous affranchir du liège pour la partie encastrée dans la coque mais elle a été réduite de par la forme de la coque)
  • Les menuiseries Minco en triple vitrage nous garantissent un coefficient Uw de 0.85
  • Nous avons fait le choix d’une ventilation double-flux nous garantissant un air neuf presque déjà chaud
  • Etc.

Quelles solutions logicielles ont été mises en œuvre ?

Ah, c’est ma partie préférée ! de la conception jusqu’à l’exécution, nous avons utilisé les solutions suivantes :

SolutionUsage
Autodesk ReCapRelevé 3D
Autodesk RevitConception, exécution, synthèse, assemblage
Rhinoceros 3DCoque
Trimble SketchUpCoque et conception
PHPPEtude fluides
EnscapeRendu et Immersion 3D (RV)
Vue perspective de la toue vue dans Autodesk Revit

L’interopérabilité a-t-elle été clé ?

Oui, nous avons pu assembler toutes les maquettes dans Revit et cela a permis à chacun de mieux comprendre le projet, de s’assurer des dimensions et des quantités des éléments de construction et surtout de pouvoir entrevoir d’éventuels problématiques que nous avons pu régler avant qu’il ne soit trop tard. Je te donne un exemple : les trois cuves de stockage des eaux : si nous nous étions ne serait-ce que trompé d’un cm, nous n’aurions pas pu faire rentrer les cuves dans la coque. A savoir que les cuves représentent déjà 3% du coût total des travaux. Je te parle des cuves, mais j’aurais tout aussi bien pu te parler des caissons gaz, de la hauteur sous plancher, de la hauteur de l’acrotère, de la zone technique sous le lavabo de la salle de bain, du placard chauffant, etc. Pouvoir assembler toutes les maquettes dans un seul et même produit a été extrêmement bénéfique !

Rendu 3D du modèle Revit dans Enscape

Avez-vous utilisé des approches telles que la rétroconception (scan-to-BIM), la RV/RA, Dynamo, etc. ?

La coque a été dessinée à l’aide du logiciel Rhinoceros 3D. Nous avons commencé la synthèse en récupérant une maquette SketchUp en attendant que la coque soit réalisée. A la livraison, nous avons réalisé un scan de la coque que nous avons intégré dans Revit. Pourquoi ? Tout comme le bois, l’alu une fois soudé subit des rétractions. Le scan dans la maquette nous a permis d’avoir des « fondations » justes sur lesquelles viendraient se reposer la partie « cabane ». Enfin, le logiciel Enscape couplé à Revit nous a offert la possibilité de pouvoir nous projeter dans ce que serait la toue cabanée, de faire des choix tant qu’il en était encore temps.

Avez-vous justement travaillé en mode hors site ? La toue a-t-elle été fabriquée en usine puis amenée sur l’eau ?

La coque de la toue a été fabriquée à Quimperlé par les chantiers navals Laïta Sailing. Elle a ensuite été transportée par camion jusqu’à Landeleau (juste à côté de Carhaix) où elle a séjourné dans l’atelier de Ty Rodou jusqu’à sa mise à l’eau dans le port d’Arzal. Ces trois lieux sont tous situés en région Bretagne.

Maintenant que vous y vivez depuis quelques mois, peux-tu dire avec certitude que le BIM a bel et bien permis d’anticiper ce bel « objet » ?

La méthode collaborative BIM a permis d’anticiper ce projet mais tout n’a pas pu être évité et c’est ce qui fait le charme de ce projet. Il y a tout un tas de trucs que nous aurions pu éviter et le BIM ne nous a malheureusement pas permis d’éviter cela. Je ne le regrette pas mais si tu me demandes une toue identique à celle-ci, je ne réutiliserai pas le BIM autrement, en revanche, je reverrai mes idées, mes croquis et je serai sans aucun doute plus présent auprès des artisans pour anticiper avec eux.

Comme disait Oscar Wilde : « L‘expérience est le nom que nous donnons à nos erreurs ».

Avez-vous un jumeau numérique qui permette de piloter les aspects domotiques de votre toue ?

Non, nous n’avons pas eu recours à un jumeau numérique. L’électricité se régule toute seule, c’est à nous de contrôler l’autonomie restante, les vannes, les niveaux des cuves, le moteur, etc.

Avez-vous aussi réfléchi à la déconstruction future de la toue ?

Tes questions sont pertinentes Emmanuel !  Non, nous n’y avons pas pensé. Mais si la question est de savoir si un recyclage des matériaux est envisageable par exemple, je dirais que peut-être 90% des matériaux sont recyclables. La toue est en grande partie constituée d’aluminium, de bois, de laine de bois, de cuivre.

Présenterez-vous ce beau projet à un concours national et/ou international de construction ou d’innovation ?

Je t’avoue que je n’y ai pas pensé. En ce moment, nous pensons surtout à nos manœuvres, à quelques améliorations à venir, et surtout à en profiter…

Enfin, on termine par le plus sympathique pour la fin. Cette toue s’appelle Lulu Balthazar. Peux-tu nous dire pourquoi ?

Voilà encore une très bonne question ! Lulu nous rappelle la ville de Nantes, Lefèvre-Utile avec ses gâteaux Lu, mais c’est aussi un clin d’œil à Audiard et cette fameuse scène de la cuisine du film « Les tontons flingueurs » et « Lulu la nantaise ». Enfin, Balthazar était le nom d’un corsaire et armateur hollandais du 16° siècle. On trouve beaucoup de canaux en Hollande et de nombreuses personnes habitent sur l’eau.

Pierre, un grand merci pour ce beau voyage naval et encore bravo pour nous faire rêver ainsi, même avec le BIM.

Emmanuel, un grand merci à toi et sache que c’est avec un immense plaisir que nous t’accueillerons sur Lulu Balthazar. Je me permets de citer les entreprises, les artisans bretons ayant participé à cette aventure, sans eux, Lulu n’aurait pas vu le jour. A eux tous, nous leur sommes très reconnaissants. Enfin, un grand merci à toute l’équipe SONA de m’avoir permis de passer du temps à suivre ce projet.

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