Il existe en France de nombreux groupes d’architecture et d’ingénierie dont certains gagnent à être connus de par leur dynamisme et créativité. Mais leur discrétion ne permet parfois pas de mettre en lumière leur savoir-faire. C’est le cas de Kardham qui regroupe un peu plus de 500 collaborateurs, dont des architectes et des ingénieurs. Nous allons avoir la chance de plonger dans l’organisation et les réalisations de ce Groupe français de renom avec Sarah Meslem, coordinatrice et développeuse BIM.
Bonjour Sarah et bienvenue sur ABCD Blog. Pourriez-vous svp vous présenter et nous parler de votre parcours de Femme Architecte ?
Bonjour Emmanuel et merci de me recevoir. Mon parcours a commencé avec une double formation d’Ingénieur en Génie Civil à l’INSA Toulouse et d’Architecte Diplômée d’Etat à l’ENSA Toulouse. J’ai ensuite intégré l’agence toulousaine Cardete & Huet Architectes début 2014. L’agence a beaucoup évolué par la suite, jusqu’à faire partie de Kardham, et j’y suis toujours !
En parallèle, de 2013 à 2017 je me suis investie bénévolement dans le Fablab Artilect à Toulouse, avec des rencontres très riches et de petits projets autour de l’architecture, très enrichissants humainement.
Pour répondre complètement à la question, je n’ai jamais ressenti de problème (et inversement) à être une femme dans mon travail.
Le numérique et le BIM ont-ils toujours été une passion pour vous ? Ou y-a-t-il un élément qui vous y a poussé ?
Je parlerais d’une forte sensibilité plutôt que d’une passion, dans le sens où je ne passe pas mes soirs et weekends sur mon ordinateur. J’avais un temps hésité entre des études supérieures dans le bâtiment ou dans l’informatique. L’architecture a pris le dessus et j’ai commencé ma carrière en tant qu’assistante chef de projet chez C&H. Par ce biais j’y ai découvert le BIM, peu présent dans ma formation à l’époque, qui commençait à se mettre en place et tous les enjeux de recherche et développement technologique associés. Naturellement, je me suis dirigée vers le poste de coordinatrice BIM que j’occupe à plein temps depuis 3 ans maintenant, qui intègre des enjeux logiciels plus poussés à l’architecture jusqu’à de la programmation informatique. Je m’y plais donc beaucoup.
Pourriez-vous nous présenter le Groupe Kardham en quelques mots et nous dire quelle est sa genèse ? Quand, par qui et pourquoi a-t-elle été créée ?
C’est une histoire très riche. En bref, à l’origine la société s’appelait Amsycom. Elle a été créée en 1992 à Strasbourg et était spécialisée en conception et réalisation d’aménagements tertiaires. Au fur et à mesure des années, elle a intégré d’autres sociétés pour couvrir des missions sur toute la chaine de valeur du bâtiment et toutes les missions qu’on peut imaginer. Elle compte aujourd’hui douze agences en France et plusieurs à l’étranger (Allemagne, Maroc, Portugal, Espagne).
Cardete et Huet est une agence d’architecture localisée à l’origine à Toulouse et Marseille qui a été créée il y a quarante ans par Francis Cardete et Gérard Huet. Elle a rejoint le groupe Kardham fin 2014.
Vous êtes architectes et ingénieurs ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus svp ?
Kardham propose une expertise globale face aux multiples enjeux des projets de construction. Le groupe couvre toutes les étapes du cycle de vie du bâtiment, la programmation, conception, exécution, exploitation et maintenance, sur des missions d’architecture, d’ingénierie, d’aménagement d’espaces, de gestion digitale et de conseil. Nos collaborateurs ont de multiples profils, ce qui fait notre richesse. Le croisement des idées entre les architectes et ingénieurs et aussi sociologues, etc. a pour but de rendre les projets plus riches et plus pertinents. Les réflexions se font de manière transversale sur une grande partie de nos projets, parfois même entre des agences différentes. Depuis Toulouse par exemple, nous travaillons sur des projets à Marseille, Strasbourg, Nantes, Paris, … avec les collaborateurs des agences locales.
Quelles sont vos spécialités ? Neuf, rénovation ? Et quels types de programmes ?
Nous travaillons sur des projets en France et à l’international sur tous types de programmes : tertiaire, retail, industrie, logistique, hôtellerie, habitat, aéroportuaire, éducation, sport, culture, justice, santé, urbains et mixtes. Ces opérations concernent du neuf et/ou de la rénovation, pour des maitrises d’ouvrage publiques ou privées.
Ce sont beaucoup de gros projets n’est-ce pas ? Est-ce différent en termes de moyens à mettre en œuvre par rapport à des projets de petite et moyenne taille ?
Tout à fait, nos projets peuvent aller de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de m². Je dirais que l’étendue des moyens à mettre en œuvre n’est pas proportionnelle à la taille de l’ouvrage. A missions de difficultés équivalentes, un projet « moyen » demandera plus de travail au m² qu’un projet plus important. C’est en particulier le cas sur les missions de BIM Management que nous assurons, où les méthodologies sont quasiment les mêmes quelle que soit la taille du projet.
Quand et comment le Groupe Kardham est-il passé au BIM ? Les avez-vous accompagnés ?
Les différentes entités de Kardham travaillent en BIM à des stades différents, les plus avancées étant le conseil, l’architecture et le digital. Nous couvrons des missions d’AMO BIM, de BIM Management MOE conception et chantier, et de suivi d’exploitation, avec le développement de toutes les méthodologies internes nécessaires.
En maitrise d’œuvre architecture, nous avons commencé véritablement à passer au BIM en 2015, et à la 3D quelques années avant ça. La décision de nous y lancer « tôt », par rapport à d’autres agences, nous a permis d’apprendre et de tester des choses en même temps que les autres acteurs, maitrises d’ouvrage comprises. Cela a finalement été moins brutal que pour des entreprises qui s’y sont lancé plus récemment. Nous essayons d’accompagner ces dernières au maximum dès le début des opérations pour anticiper une partie des problèmes et faire gagner du temps par la suite, et participer modestement à l’avancée du secteur.
Pour ma part, j’accompagne le développement du BIM pour le groupe depuis 2018, en tant que référente BIM en parallèle de mon travail d’architecte puis à plein temps avec ma prise de fonction en tant que coordinatrice BIM début 2020.
J’ai aussi écrit récemment un article sur le sujet du BIM : « Pour un BIM raisonné », à découvrir ici.
Quelles solutions Autodesk utilisez-vous au quotidien ? Et comment vous aident-elles à réaliser vos projets avec succès ?
En architecture nous utilisons Revit, AutoCAD, Dynamo et 3ds Max. Occasionnellement, Autodesk Collaborate Pro et Navisworks.
Autodesk a l’avantage de proposer des solutions couvrant tous nos besoins. L’inconvénient parfois est que ce sont des logiciels qui peuvent parfois manquer de souplesse, aux fonctions multiples, donc complexes à maitriser pour des néophytes, et parfois avec des défis d’interopérabilité qu’il faut maîtriser, et là, l’expérience a son importance. Ils restent des outils puissants et l’ouverture de leurs API nous permet de contourner des problèmes et d’orienter certaines fonctions dans la direction que l’on souhaite. Nous développons nos compétences en ce sens, en parallèle de tout le reste.
Quels avantages tirez-vous de l’utilisation du BIM ? Les avez-vous quantifiés ?
Nous n’avons pas quantifié les avantages que nous tirons du BIM. A mon avis, c’est quasiment impossible car les enjeux sur les projets ne sont pas les mêmes aujourd’hui qu’il y a quelques années. Par contre, il est clair que nous ne reviendrons pas en arrière. D’abord car il est compliqué de rester sur le marché au niveau que nous visons sans cette compétence, et ensuite car les avantages dépassent les difficultés rencontrées au quotidien.
Aussi, au vu de la taille de nos projets, il est rare qu’un collaborateur travaille seul sur un projet, d’où la mise en place d’une méthodologie de travail commune en interne. Le BIM est une bonne base à cette méthodologie, nous l’appliquons donc, en interne et en externe, même si le client ne l’impose pas.
Quels sont les projets traités en BIM faisant partie de vos réalisations emblématiques dont vous soyez particulièrement fiers ?
Beaucoup de nos projets en BIM sont des opérations avec des défis. En voici deux :
La première est le Campus Orange situé à Balma (31), livré en 2021. Elle est composée de 4 bâtiments tertiaires accueillant 1500 collaborateurs sur 17 000 m², accompagnés d’un parking silo et d’un restaurant.
Il s’agit d’une opération au montage particulièrement complexe. La partie tertiaire est portée par Pitch Promotion, dont l’exécution est faite par des entreprises indépendantes, et a été gérée par Kardham en conception et LCR Architectes en suivi de travaux. Le reste a été suivi par GA Promotion, entreprise générale, avec l’agence CCD Architecture.
Une multitude de logiciels ont été utilisés sur ce projet, à commencer par les trois agences d’architecture qui travaillaient chacune sur des logiciels différents. Les deux opérations étaient sous mission BIM Management, par Kardham pour l’une et GA pour l’autre. Elles étaient basées sur une charte BIM commune à partir de laquelle les BIM Managers ont édité deux conventions BIM différentes. Nous avions une mission d’assemblage des deux opérations en DOE, aux formats IFC2x3, IFC4 et Revit (une trentaine de maquette éditées chacune aux trois formats). Elles ont dû être légèrement adaptées pour être compatibles.
Le suivi rigoureux de la démarche BIM a été crucial dans la réussite de cette opération, supportée par une plateforme collaborative.
La deuxième est le Siège Régional de RTE à Marseille, en fin de conception actuellement. Ce projet de 13 000 m² sur 8 niveaux accueille des plateaux de bureaux, des espaces de vie, un restaurant, un showroom, un parking souterrain et des locaux confidentiels. La sensibilité de ce projet nous impose de fortes contraintes sur la sécurité et la confidentialité des données.
Elle aussi a un montage particulier. Le groupement en VEFA assurant l’opération est piloté en co-promotion entre Linkcity et Bouygues Immobilier, accompagnés par plusieurs bureaux d’études, l’entreprise générale Bouygues Bâtiment Sud-Est, et deux agences d’architecture, Vincent Lavergne Architecture et Urbanisme et Kardham Architecture. Les intervenants sont répartis sur tout le territoire : Marseille, Lyon, Paris, Toulouse, Troyes, Vierzon…
Malgré le fait qu’il y ait 2 agences d’architecture sur le projet, nous avons choisi de travailler sur une maquette commune. Dans cette situation, nous partageons d’habitude le projet en une maquette séparée par agence, comme ça a été le cas pour l’opération du Campus Orange à Balma. Ici nous avons choisi la maquette unique en regard de l’architecture du bâtiment et de la répartition des études entre les agences. Ce qui a posé la question du partage de responsabilité sur sa manipulation. Un BIM de niveau 3 entre agences en quelque sorte, auquel nous n’avions jamais été confrontés, et pour lequel il a fallu établir les règles et cadrer les conséquences en cas de problème.
L’engagement de tous les architectes sur le respect de la démarche BIM fait que cette opération se déroule bien autant en interne que dans les échanges avec nos cotraitants. De plus le maitre d’ouvrage, accompagné par un AMO BIM, a produit des exigences BIM tout à fait raisonnables de notre point de vue, par rapport à ce qu’on peut constater sur d’autres projets. D’où la possibilité pour BBSE, BIM Manager de l’opération, d’élaborer une convention BIM claire et pertinente, en plus de faire preuve à l’égard de toute la maitrise d’œuvre d’une facilitation et d’une souplesse importante. Ce niveau d’implication de la part de tous participe d’autant plus à la réussite de la démarche. L’utilisation de la plateforme ACC d’Autodesk y contribue également, d’autant plus qu’une grande majorité des intervenants travaillent avec Revit.
Cette opération ambitieuse a recours à un certain nombre de systèmes d’automatisation dans et entre les maquettes, et leurs liaisons avec d’autres documents (tableurs, outils de représentation et de contrôle, etc) en interne et en collaboration avec BBSE.
Vous travaillez sur la tour Occitanie avec Daniel Libeskind. Sera-t-elle conçue elle-aussi en BIM avec Revit ?
Elle est conçue en BIM, avec Revit chez nous et une partie des bureaux d’étude, et Rhinoceros 3D chez Libeskind. Nous ne portons pas la mission de BIM Management.
Vous intéressez-vous à l’IA et à la conception générative ?
C’est arrivé de manière expérimentale sur quelques projets en début de conception. Nous aimerions continuer à apprendre sur le sujet, et développer des outils pour les études environnementales, d’aménagement intérieur, etc.
Développez-vous vos propres plug-ins et applications pour vos propres besoins ?
Nous ne développons pas encore nos plugins. Nous y réfléchissons mais cela nécessite des compétences de développeurs poussées que nous n’avons pas encore, en tout cas pas dans la branche architecture.
Par contre, nous développons des applications via Dynamo depuis plusieurs années. Nous avons une bibliothèque de scripts génériques applicables directement sur les projets et nous développons des scripts particuliers pour des problématiques spécifiques à certains.
Ces développements nous donnent une idée de l’intérêt de développer nos propres applications un jour, mais le rapport entre l’investissement et le gain réel est difficile à calculer. Pour l’instant nous trouvons notre bonheur parmi la multitude de plugins déjà existants.
Comment est gérée l’innovation et la veille technologique et est-ce important ?
Oui bien sûr. Nous avons une entité pluridisciplinaire dédiée à la recherche et développement, composées d’une petite dizaine de chercheurs et doctorants en sociologie, architecture, ergonomie, data-science, psychologie et économie, qui travaillent sur des thématiques touchant à tous les métiers du groupe. Cette pluridisciplinarité a pour objectif d’apporter des connaissances transversales aux collaborateurs et aussi à l’écosystème de la construction en général. Sur les sujets traités nous sommes ainsi capables d’appuyer nos propositions aux clients par des analyses solides faites avec des méthodologies scientifiques.
Nous accueillerons prochainement une personne dédiée au développement des veilles technologiques afin d’accompagner les collaborateurs à la mise en place de veille technologique efficace à l’échelle du groupe. Pour l’instant chaque entité organise sa veille de manière indépendante à des niveaux plus ou moins avancés.
Quels sont vos projets de développements technologiques à l’avenir ? Avez-vous des objectifs forts ?
Les objectifs R&D sont impulsés par la direction en fonction des grands sujets des années à venir. Côté technologique, cela va de la recherche sur les procédés constructifs plus frugaux, les analyses ACV jusqu’au smart building. Pour ce dernier sujet, les techniques de collecte de l’information et de leur analyse sont axées sur le gain d’efficacité énergétique du bâtiment et l’amélioration de l’expérience utilisateur. Nous avons pour cela notamment une data-scientiste qui travaille sur la construction et l’exploitation de base de données.
Peu commun dans les départements de R&D d’entreprises dans notre domaine, les sciences humaines et sociales font partie intégrante des sujets de nos chercheurs. L’objectif est d’asseoir nos missions de conseil sur des enquêtes et récupérations de données basées sur des méthodes scientifiques sérieuses. La psychométrie par exemple est utilisée dans la construction de questionnaires rigoureux établissant des liens de cause à effet les différentes données récoltées (lien entre les typologies de personnes et les sentiments d’inconfort par exemple). Cela donne des audits solides et vraiment utiles à la prise de décision pour le client et la suite des études.
Nous proposons également une méthode de récupération et analyses dynamiques et automatisées des baux de bureaux pour établir des tendances de localisation de ces derniers et aider nos clients à choisir les localisations de leurs prochaines opérations, en Ile-de-France pour l’instant.
Nos chercheurs travaillent également pour améliorer les études en interne sur la base de lexicométrie par exemple (dégager les idées fortes d’un programme de concours en analysant et hiérarchisant les mots qui reviennent le plus souvent).
Concernant le BIM, nous sommes continuellement en recherche d’améliorations sur nos méthodes de travail, car les logiciels et le BIM lui-même évoluent en permanence. Nous avons beaucoup de pistes à différents niveaux d’avancement, de la mise en place d’une bibliothèque cloud jusqu’à la conception générative en passant par le développement de processus d’automatisation de tâche.
Souhaiteriez-vous dire quelque chose de particulier à nos lectrices et lecteurs ?
Oui bien sûr. Je dirais qu’il ne faut pas perdre de vue que le BIM contient plus de gestion de l’humain que de problématiques logiciels. Accompagner au changement est un défi de tous les jours, rythmé entre l’imposition de certains choix et l’adaptation aux problématiques de chacun. Le BIM doit rester au service du projet tout en répondant aux demandes du maitre d’ouvrage.
Sachez que si vous êtes attirés par une aventure parmi nous, nous recrutons régulièrement partout en France, sur des profils très variés. Pour l’architecture ce sera plutôt à Toulouse, Marseille, Paris, Strasbourg et Nantes. Et bien sûr, nous portons une attention particulière à toute candidature spontanée que nous recevons.
Connaissiez-vous ABCD Blog ?
Oui bien sûr, c’est toujours un plaisir de vous lire d’ailleurs. Et un honneur d’y être interviewée.
Sarah, un grand merci et un grand bravo à vous et tout le groupe Kardham.
Merci à vous ! A bientôt.