Les interviews BIM Managers reprennent en cet hiver 2019 et nous avons le plaisir de recevoir le BIM Manager d’un grand nom des travaux publics, le groupe Colas, Leader mondial de la construction et de l’entretien des infrastructures de transport, et son Expert reconnu principal Pierre Maréchal.
Bonjour Pierre, pourrais-tu stp te présenter en quelques mots et nous parler de ton parcours et ta formation ? Tu es atypique dans ce monde des TP car tu as une double formation qui a contribué à ta richesse et tes compétences pointues.
J’ai 39 ans, de formation ESTP, j’ai poursuivi mes études par une école d’architecture. J’ai donc connu les lames de rasoir et l’aquarelle. J’ai ensuite surtout travaillé sur les chantiers, en conduite de travaux à la Réunion, puis dans la 3D et enfin dans le BIM depuis 4 ans.
Quand t’es venue cette passion pour la 3D et aussi la visualisation qui est l’une de tes forces cachées ? Lors de tes études ou un peu plus tard ?
J’ai toujours été un peu gamer et geek, donc la 3D, ça remonte aux consoles 16 bits des années 90… J’ai surtout eu l’occasion de travailler aux début des années 2000 sur des logiciels CAO connus, avant de passer à 3ds Max puis à Revit.
Peux-tu nous présenter Colas en quelques mots car beaucoup de personnes pensent à tort que c’est uniquement une société spécialisée dans les travaux publics ?
Colas, qui vient de fêter ses 90 ans est un leader mondial de la construction, de l’entretien et de la maintenance des infrastructures de transport. Implanté dans plus de cinquante pays, il réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires à l’international.
La Route représente 69% de l’activité du Groupe en 2018 mais le reste du chiffre d’affaires provient des matériaux de construction, des travaux ferroviaires, des réseaux…
Vous dépendez du Groupe Bouygues. Coordonnez-vous vos efforts aves les autres filiales Construction et TP ?
Nous sommes en effet en relation régulière avec nos homologues des diverses filiales du groupe Bouygues au travers de groupes de travail, d’évènements, de projets ou même de manière plus informelle.
Tu fais partie de la structure BIM by Co, mais qu’est-ce donc, combien êtes-vous et comment êtes-vous organisés ?
La cellule BIMbyCO, créée en 2016 par Maud Guizol, est en charge du déploiement du BIM pour toutes les filiales et métiers du groupe Colas. BIMbyCO est composé, pour le volet pilotage, de cinq personnes mais gère un réseau de plus de trente BIM référents, qui sont nos relais répartis dans le monde. Nous suivons via la formation et nos divers groupes de travail un sous-réseau BIM de plus de 1000 collaborateurs. Nos missions consistent tout d’abord à gérer le volet gouvernance du BIM avec la partie stratégie BIM, déploiement BIM, définition de nos processus et outils, et l’animation du réseau. Nous avons aussi un volet formation, comme la mise en place de MOOCs, une partie innovation avec l’ensemble des nouvelles technologies pluggables à un processus BIM.
Puis, côté projet, nous assurons un service d’assistance technique pour toutes nos filiales : une sorte de SOS BIM ou SAV BIM, selon les besoins. Nous sommes aussi amenés à produire en BIM de la modélisation au BIM Management. Enfin, notre valeur ajoutée est le volet Intégration de Solutions, c’est-à-dire l’ingénierie du BIM, comme nous avons pû l’appliquer sur le projet de dépollution et déconstruction de la raffinerie de Dunkerque.
Tu as commencé chez GTOI, filiale de Colas à la Réunion. Peut-on dire que le « BIM by Colas » est né à la Réunion et que vous étiez des pionniers ?
Le BIM chez Colas est né naturellement à la Réunion car notre filiale GTOI permet à tout l’écosystème du BTP de se côtoyer dans un même bâtiment : commerciaux, métreurs, chiffreurs, méthodes, ingénieurs structure, conducteurs de travaux et chefs de chantier. Et ce, dans l’ensemble des secteurs du BTP : bâtiment gros œuvre, corps d’états divers, routes, VRD, industrie, génie civil et grand projets.
Le BIM à la Réunion, c’était comment ?
La Réunion est un territoire géographiquement isolé mais connecté. La fédération FRBTP s’intéresse évidemment au sujet du BIM et les BET locaux font le déplacement à BIM World tous les ans.
Qui a impulsé le BIM chez Colas et pour quelles raisons et quels objectifs ?
Le BIM est né sous l’impulsion de la Direction Technique de Colas sur des sujets d’ingénierie structure menés par Maud Guizol. Tout le monde s’est rapidement rendu compte du spectre bien plus large que représente le BIM et des enjeux pour un grand groupe comme le nôtre. C’est ensuite tout le travail de Maud qui a su convaincre et fédérer pour créer cette structure transversale et essentielle dans un groupe décentralisé comme Colas.
Vous êtes des Experts du BIM pour les infrastructures. En quoi est-ce radicalement différent du BIM Bâtiment ?
Le BIM pour les infrastructures mélange des ouvrages ponctuels (gare, pont…) dont les logiciels raisonnent en mode objet, et des ouvrages linéaires (routes, rails…), dont les logiciels raisonnent en axe (avec des profils et sections type). Ce sont donc des métiers très différents tout autant que la façon de modéliser.
L’interopérabilité et l’openBIM jouent un rôle d’autant plus important pour vous. Peux-tu nous expliquer pourquoi et comment ?
Pour les raisons précédentes et la multiplicité des logiciels, leur interopérabilité est indispensable pour mener un projet complet et s’assurer de la cohérence entre les intervenants. Aujourd’hui l’openBIM est la seule solution capable de nous faire tous communiquer.
Nous soutenons buildingSMART France et le projet MINnd et sommes donc très impatients d’avoir ces IFC 5 qui intégreront cette notion d’axe et l’ensemble des projets linéaires (ifcBridge, ifcRoad et ifcRail).
Vous avez aussi un rôle fédérateur et vous entrainez la filière toute entière au travers de formations et de COOC, ce qui est très positif et généreux. Comment est-ce organisé et déployé ?
Pour les COOC, nous avons été accompagnés par Factory Santelli, une agence de communication et nous avons profité de studios de tournage chez Bouygues. Nous avons 4 saisons de maturité croissante avec 7 épisodes chacune. A la fin de chaque maturité, il est nécessaire de valider ses acquis par un quiz. Ils sont accessibles à l’ensemble du Groupe en français et en anglais, sur la plateforme digitale de formation en ligne Colas Campus. Pour les autres formations, nous accompagnons les filiales au cas par cas.
Quel est ton rôle au quotidien ? As-tu une équipe ?
Notre cellule est composée de peu de personnes, donc en plus d’avoir chacun un background métier (chantier, BE…), nous sommes tous un peu couteau suisse du BIM. Mon rôle est ainsi assez varié : en charge du déploiement sur certaines zones ou encore de l’innovation liée au BIM, je travaille par ailleurs sur de l’assistance technique aux projets, du BIM management ou encore de la production de maquettes. Je participe également à divers groupes de travail interne et à MINnd.
Vous êtes les vainqueurs d’un BIM d’argent et d’un BIM d’or déjà. Quelle reconnaissance ! Peux-tu nous parler de ces deux grands succès et nous dire ce que cela a changé pour vous ?
Le BIM d’argent dans la catégorie bâtiment supérieurs à 40000 m² a été décerné au Pôle Sanitaire de l’Ouest à la Réunion, sur lequel notamment l’avancement des coulages béton a été suivi de manière hebdomadaire grâce à la maquette BIM. Cela est très utile pour commander le béton sur des grandes dalles avec forme de pente. Cela a été très certainement une victoire interne qui nous a permis de convaincre les équipes d’exploitation qui peuvent être assez réfractaires au changement.
Le BIM d’or a primé un projet très particulier sur la déconstruction et dépollution d’une raffinerie à Dunkerque. Ce projet nous a confortés sur l’approche que nous devons avoir par rapport au BIM : apporter de la transparence à nos projets. Ces deux prix ont été très importants pour toute notre équipe car au-delà de la reconnaissance de nos métiers, cela nous permet d’accélérer la transformation digitale liée au BIM au sein de Colas.
Le BIM d’or pour la dépollution du site de Dunkerque est notamment exemplaire et impressionnant. Peux-tu nous le présenter en quelques mots ?
C’est un projet unique (malheureusement pour l’instant) : l’équivalent en tonnage d’acier de 4 tours Eiffel à déconstruire et un site de 95 hectares à dépolluer en moins de 4 ans. Nous avons donc eu un gros travail de sélection de vieux plans, de modélisation de l’existant (notamment avec l’IA de modélisation automatique de WiseBIM). Nous avons innové en utilisant Dynamo pour modéliser la répartition de la pollution dans le sous-sol : l’interpolation des sondages.
Tous les habitants de Dunkerque ont aussi la possibilité de suivre de manière hebdomadaire l’avancement de la déconstruction sur la maquette superstructure :
http://srd.jumeaunumeriquebim.com/html/pai#/, ce qui illustre au mieux la baseline de Colas Environnement, maître d’ouvrage du projet : « Dépolluer en toute transparence ».
Sur quelles technologies basez-vous principalement vos workflows BIM ?
Ces technologies et workflows sont pour l’instant assez hétérogènes de par la pluralité de nos métiers et une normalisation en pleine écriture.
Pour ma part, j’apprécie démarrer d’une acquisition en nuage de points, une modélisation en Revit, Dynamo pour automatiser, Twinmotion pour le phasage, les rendus et la VR et BIM 360 pour collaborer.
Dynamo, outil de programmation visuelle semble jouer un rôle clé chez COLAS. Peux-tu nous dire pourquoi ?
Entre autre, cela nous a permis de faire rencontrer les deux mondes de la modélisation en mode objets et en mode linéaire, et de positionner concrètement des objets le long d’un axe, comme sur un pont. Et pour le projet de Dunkerque, nous avons créé un outil qui nous permet d’amener le BIM dans la filière du SSP, les sites et sols pollués (cf. class AU19 – CI320781 – Revit Dynamo and AI for the deconstruction of a refinery site https://www.autodesk.com/autodesk-university/class/Revit-Dynamo-and-AI-decontamination-refinery-site-2019).
Vous êtes aussi des Experts de la RV/RA. Vous l’utilisez notamment en combinaison avec vos produits pour la route innovants comme les enrobés lumineux. Peux-tu nous expliquer votre démarche ?
Notre solution de marquage dynamique lumineux, appelée Flowell, n’est pas une technologie évidente à décrire avec des mots. Si je vous fais tester nos simulations de modularité routière en VR, vous allez non seulement comprendre et adorer mais cela permet surtout de se projeter et de perfectionner le fonctionnement réel d’un tel dispositif, très sensoriel. Preuve en est, un récent partenariat entre Colas et SideWalkLab (filiale d’Alphabet, maison-mère de Google) pour le projet de SmartCity à Toronto mais également un nouveau site test à Paris La Défense en 2020.
Tu as su garder ta compétence en visualisation et c’est un vrai plus. En quoi cela est-il un différenciateur selon toi ?
J’ai toujours eu le goût d’explorer des softs qui permettent d’aller assez loin, à l’époque 3DS/Vray/Photoshop maintenant Revit/Dynamo et Unity.
Lorsque l’on parle d’un projet de construction, on a besoin de le visualiser soit en images, soit en vidéo, idéalement phasé. Et ce qui était long et coûteux il y a quelques années ne l’est plus. D’une part, cela est très satisfaisant et valorisant pour tous les projeteurs, et grâce à cette meilleure compréhension de nos clients, cela améliore les prises d’affaires. D’autre part, nos métiers attireront plus de talents en se modernisant et en se digitalisant.
Quel est ta vision de ce qui se passe autour du BIM en France et des initiatives gouvernementales ?
Les initiatives telles que le Plan BIM 2022 ne sont pas négligeables, même si je regrette qu’il n’y ait pas d’obligation BIM sur certains types de projets. Le tragique incident de Notre-Dame devrait pourtant interpeller sur la nécessité d’un jumeau numérique de notre patrimoine bâti et du territoire. Colas a d’ailleurs signé un partenariat pour être acteur dans la Smart Région Ile-de-France. Il y a aussi un manque crucial de formation sur le BIM en général et sur la prise en main des logiciels.
Après un BIM d’or et un BIM d’argent, une reconnaissance incontestable du marché, quels sont vos prochains grands défis technologiques ?
Notre prochain défi est de rendre plus accessibles les données invisibles du sous-sol, notamment grâce à un partenariat avec WiseBIM, spécialiste de l’intelligence artificielle pour le BIM. Nous travaillons également sur la RA avec des partenaires comme Syslor et BIMmyProject/HoloBIM. Ces initiatives vont répondre au défi de taille que nous nous sommes fixés pour 2020, à savoir passer du BIM au CIM.
Quelles sont tes passions à titre personnel et comment sont-elles liées avec ton quotidien de challenge ?
A titre personnel et sans aucun rapport, je suis passionné de kitesurf, ce qui, je le concède, est plus compliqué à pratiquer depuis la région parisienne… La contrepartie positive est que je peux désormais profiter de la riche activité culturelle de Paris et spécialement de l’architecture, que j’affectionne.
Connais-tu ABCD Blog et quels seraient tes suggestions d’amélioration ?
Je connais ABCD Blog depuis que j’ai entendu le mot BIM, je suis donc très honoré de cette interview et t’en remercie. Je le lis régulièrement et c’est toujours une grande source d’information, notamment pour savoir ce qu’il se passe dans les pays voisins et découvrir de nouveaux projets.
Cher Pierre, un grand merci et bonne route – si j’ose dire – vers le BIM ! Une route illuminée jusqu’à présent.