Interview BIM Managers – Un épisode #27 passionnant avec Samuel Locus, Agence VIGUIER, innovation, numérique et BIM au service de la créativité et du développement durable !

Bonjour à tous,

Nous avons le grand plaisir cette semaine de recevoir l’Agence VIGUIER et son BIM Manager, Samuel Locus, vainqueurs du BIM d’Or 2019 avec le projet de la Tour Hypérion. Cette belle agence qui fait partie des plus grandes et renommées en France a depuis quelques temps maintenant basculé sur le processus BIM avec Revit. Le couronnement de leur excellence technologique avec ce BIM d’or et une créativité et qualité architecturale toujours grandissante montre à quel point l’innovation est importante et qu’elle permet de réaliser des projets de haute qualité. Samuel nous raconte un parcours hors du commun, international et passionnant.

Samuel Locus
Architecte et BIM Manager
slocus@viguier.com
+33 (0)1 44 08 62 00

Bonjour Samuel, et bienvenu sur ABCD Blog. Pourrais-tu stp te présenter en quelques mots à nos lecteurs ?

Bonjour Emmanuel, je suis Samuel Locus, je suis architecte de formation et je suis BIM Manager pour l’Agence VIGUIER dont le siège est situé à Paris. Je suis belge et travaille en France depuis l’an 2000. Cela fait plus de quatre ans que je participe à l’évolution du BIM à l’agence VIGUIER.

Tu as fait tes études d’architecture en Belgique je crois. Pourrais-tu nous parler de ton parcours universitaire puis professionnel avant d’arriver chez VIGUIER ?

J’ai effectué mes études à l’Institut Supérieur d’Architecture de Saint-Luc Bruxelles (école actuellement dénommée LOCI et rattachée à l’UCL, l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve).

J’ai accompli un stage chez l’architecte belge Constantin Brodzki qui est un spécialiste de la préfabrication : il a construit plusieurs bâtiments caractéristiques de cette technique associée au béton : par exemple le Siège social de Swift en Belgique en collaboration avec l’architecte Ricardo Bofill. Avec Constantin Brodzki, j’ai participé à la première rénovation du Siège social de CBR, l’un de ses bâtiments les plus emblématiques, construit à la fin des années 60.

J’ai poursuivi mon stage chez Sigma 3 (actuellement Groupe Sigma) à Wavre, banlieue proche de Bruxelles, un cabinet d’architecture intégrant un département de techniques spéciales. Y travailler m’a permis de comprendre l’importance de la synthèse technique dans un bâtiment : nous devions régulièrement y dessiner nous même quelques réseaux.

Figure 1 : Les Collines de Wavre – Belgique – Architecte Group Sigma Architecture

Par la suite, j’ai migré à Paris pour travailler dans le cabinet du très célèbre architecte Santiago Calatrava dont l’antenne parisienne a été fermée plusieurs années après mon départ. J’avais découvert sa production pendant mes études et depuis lors, je rêvais d’y travailler. J’ai collaboré essentiellement sur la Gare de Liège. J’ai eu la chance d’y rencontrer des collaborateurs incroyables, peut-être avec un esprit plus  » Calatravien  » que Calatrava lui-même.

Je suis passé par ADP (Aéroports De Paris) pour suivre le chantier de la jetée du terminal 2E, projet de l’architecte Paul Andreu. Ce fut une expérience un peu douloureuse dans la mesure où le bâtiment s’est écroulé, même si je n’y étais absolument pour rien bien évidemment. D’après ce que j’ai compris, il s’agirait d’une erreur de note de calcul, erreur qui a malheureusement coûté la vie à quatre personnes si mes souvenirs sont bons.

J’ai travaillé pour Valode et Pistre Architectes pendant 11 ans. Ce furent des années très importantes dans ma carrière. J’y ai à peu près tout fait : esquisses, concours, études, suivis de chantiers et ce pour tous types de projets : tertiaire, centres commerciaux, immeubles de grande hauteur, logements, … J’y suis devenu en quelque sorte un spécialiste des façades et des enveloppes du bâtiment en général. C’est là que j’ai fait connaissance avec le logiciel qui réorientera ma carrière plus tard : Autodesk Revit. Ce fut une véritable révélation pour moi ! Même si les débuts furent laborieux : commencer par un IGH, immeuble de grande hauteur, n’était peut-être pas l’idée la plus judicieuse.

Quand as-tu découvert les nouvelles technologies et le BIM ? Est-ce que cela a toujours été une évidence pour toi de devoir travailler en numérique ?

Les nouvelles technologies m’ont toujours accompagné : l’école d’Architecture Saint-Luc avait reçu en prêt un ordinateur de la part d‘IBM (BIM/IBM ? ) dont il faisait la promotion à l’époque et pour lequel ils avaient racheté un logiciel d’architecture développé à l’origine par l’agence d’architecture américaine SOM, Skidmore Owings & Merrill LLP. Le logiciel s’appelait AES series je crois.

Figure 3 : Rénovation du Siège social de CBR – Bruxelles – Perspective intérieure issue du logiciel AES series (photo d’écran, 1996) – Architecte Constantin Brodzki

C’est grâce à mes connaissances sur ce logiciel que j’ai accédé à mon premier stage chez l’architecte Constantin Brodzki qui le possédait lui aussi.

Ce programme était de conception rustique et malgré cela, capable de grandes choses surtout en 3D. Après, j’ai travaillé avec Bentley Microstation et AutoCAD en 2D et en 3D.

Jusque-là, les projets architecturaux s’étudiaient principalement en 2D. Réaliser de belles coupes ou de belles façades pour mieux comprendre le projet me laissait toujours un arrière-goût d’insuffisant.

Quand le BIM a croisé ma route, son utilisation m’a paru être une évidence. Le projet était monté directement en 3D. Pour la Tour Generali, projet de Valode et Pistre, je me rappelle avoir fait le détail d’un balcon dont la sous-face avait une géométrie complexe. J’avais exécuté le même auparavant sur AutoCAD et quand je montrais les 2, toute l’équipe pensait que celui d’AutoCAD paraissait juste alors que c’était celui de Revit qui l’était en vérité. En 2D, il peut arriver qu’il y ait des erreurs dans l’interprétation des documents, en 3D, cela n’est presque plus possible et quand un doute persiste sur un détail, il suffit de prendre le modèle 3D et de l’explorer pour avoir une meilleure compréhension du sujet à analyser.

Pourrais-tu aussi nous présenter l’Agence VIGUIER en quelques mots, nous parler de ses projets, de sa philosophie, etc. ?

Présenter l’agence VIGUIER est particulier : Il faut savoir que cette agence fait partie des grandes agences de l’histoire architecturale contemporaine française : elle a notamment été première ex aequo pour le concours de la Grande Arche de La défense avec l’architecte danois Johan Otto von Spreckelsen selon le roman « LA GRANDE ARCHE » (Laurence Cosse, éditions Gallimard, 2016). Elle a collaboré au projet du Parc André Citroën, projet Mitterrandien, oh combien emblématique ! il y eu le pavillon français pour l’exposition universelle de Séville et pleins d’autres œuvres.

Figure 4 : Cœur Défense – La Défense – Au premier plan, La Grande Arche de l’architecte danois Johan Otto von Spreckelsen – Architecte VIGUIER

Ce que j’y ai rencontré, c’est un grand professionnalisme de la conception architecturale : travailler au sein de l’équipe qui a gagné le concours de la tour en bois (Hypérion NDLR) pour Bordeaux est l’une de mes plus belles expériences professionnelles. Les directeurs de projets bénéficient d’une grande autonomie de création chez VIGUIER. C’est important pour la motivation des collaborateurs qui se sentent concernés par les études des projets.

Cela se ressent dans la cellule BIM que nous avons montée chez VIGUIER : tous ses membres sont motivés pour faire évoluer l’outil BIM au sein de l’agence. Le constat est que les progrès de l’usage du BIM à l’agence sont impressionnants.

Es-tu arrivé chez VIGUIER pour t’occuper essentiellement de digital ?

Oui, l’agence Jean-Paul Viguier et Associés telle qu’elle s’appelait alors, recherchait un coordinateur BIM suffisamment aguerri pour suivre le projet immobilier Bruxellois NEO.

Il s’agit d’un projet qui a la taille d’un petit quartier, d’une surface de plus ou moins 300 000 m², et qui jouxte le stade du Heysel. A l’époque, je venais de finaliser les études du Hall 7 du Parc des Exposition de la Porte de Versailles pour les architectes Valode et Pistre, projet de plus ou moins 70 000 m². Tout y avait été étudié avec le logiciel Revit : les grandes façades plissées visibles depuis le périphérique parisien, la grande verrière construite sous forme de sheds dont la portée est de 60m avec l’une des travées qui doit supporter des cloisons mobiles de plus de 5 m de haut. Tout est à l’avenant dans ce projet hors norme.

Monica Antonie, architecte chef de projet, qui travaillait déjà chez VIGUIER, et que nos destins avaient souvent amené à nous croiser dans nos carrières professionnelles (chez Santiago Calatrava, ADP ou encore chez Valode et Pistre), connaissait ma maîtrise de Revit et m’a introduit chez VIGUIER en vue de répondre à leurs nouveaux besoins dans le domaine du BIM.

Pour NEO, les défis à relever étaient (et sont toujours d’ailleurs) nombreux : comment découper un tel modèle, comment faire collaborer sept cabinets d’architecture, comment faire collaborer des agences qui ne travaillent pas toutes avec les mêmes logiciels, comment harmoniser la charte graphique, etc… ?

J’avais établi quelques règles en vue de la collaboration à venir.

Mais, par après, du fait des soubresauts que connaissent ces grands projets, alors que NEO a connu une pause avec l’attente des retours des permis de construire, nous avons d’un commun accord avec la direction étendu mon champ d’action à toute l’agence et c’est comme cela que je suis devenu BIM Manager.

Figure 5 : NEO – Bruxelles – Etude de ségrégation des modèles pour un projet de plus de 300 000m² – Architecte VIGUIER

Quand et comment VIGUIER a intégré le BIM ? Cela a-t-il été difficile ?

L’agence a commencé à envisager le passage au BIM vers 2013/2014. L’impulsion vers le BIM avait différentes origines : cela allait de l’intérêt de certains collaborateurs, comme l’architecte chef de projet Graham Ryder, pour ce type de logiciel, à l’exigence de pouvoir répondre à des appels d’offres pour lesquels le BIM était déjà imposé en passant par des projets du type NEO cité plus haut qui était en phase préparatoire et dont l’agence savait que les études devaient être poursuivies en BIM.

Dans le domaine de l’architecture, les sauts technologiques de ce type ont souvent posé problème : ce fut le cas quand la discipline est passée de la planche à dessin aux logiciels de CAO de type AutoCAD. Mais je crois que le saut technologique avec Revit et le BIM est sans commune mesure.

Si l’apport des logiciels que j’appelle de type 2,5D (*) tel que Revit ou similaire est indéniable, leur parfaite maîtrise demande un apprentissage long et parfois laborieux.

(*) Je parle de logiciel 2,5D pour les programmes qui permettent de travailler en plan, coupe façade en interaction directe avec la modélisation 3D contrairement à des logiciels de type AutoCAD, Microstation, Rhinoceros 3D ou Catia, etc. qui sont pour la plupart d’excellents purs modeleurs 3D mais qui n’établissent pas de lien entre la production 2D et 3D sauf à devoir les programmer de manière spécifique.

Figure 6 : Muse – Metz – Premier projet de l’agence conçu avec Autodesk Revit et livré – Photo de la façade faisant face au Centre Pompidou Metz – Architecte VIGUIER
Figure 7 : Muse – Metz – Premier projet de l’agence conçu avec Revit et livré – Axonométrie partielle du site avec projets connexes – Architecte VIGUIER 

Y-a-t-il eu des résistances ? Et y-en-a-t-il encore ?

Oui, il y a eu des résistances.

Il faut savoir que la bonne maîtrise du logiciel Revit passe par la pratique. Or tout le monde à l’agence n’a pas l’opportunité de pouvoir s’extraire de ses tâches quotidiennes pour pratiquer le logiciel. Les chargés d’affaires, qu’ils soient directeurs ou chefs de projet, courent après le temps, il n’est pas toujours aisé de pouvoir en trouver pour se former.

Mais avec le temps et avec l’expérience acquise par l’agence, je perçois que les appréhensions en vue de l’usage du BIM s’estompent de plus en plus. Envisager de faire un concours sur Revit, par exemple, n’effraie plus comme auparavant.

Cependant certaines résistances persistent : ceux qui ont pour habitudes de travailler sur AutoCAD, Trimble Sketchup voire Rhino, ont parfois du mal à envisager la transition sur Revit.

Sans parler du fait, que malheureusement, comme lors du passage du cinéma muet au cinéma parlant, tout le monde n’est pas égal par rapport au passage vers ces nouvelles technologies. Pour prolonger cette analogie avec le cinéma, Douglas Fairbanks l’un des plus grands acteurs de tous les temps n’a jamais réussi son passage au cinéma parlant. Il en va de même avec des logiciels de type 2,5D comme Revit.

Pour maîtriser Revit, il faut non seulement bien maîtriser l’espace 3D, mais surtout pouvoir se projeter dans la manière dont on construit des objets 3D dans Revit. Pour diverses raisons, on rencontre des collaborateurs qui n’avaient pas de soucis avec l’espace 2D de la CAO mais qui ont du mal avec la 3D et notamment la 3D selon Revit.

D’autres n’auront que des problèmes avec l’approche de Revit et préféreront construire de la 3D à la manière AutoCAD, Sketchup ou Rhino : en construisant des lignes, des surfaces et des blocs ou des groupes.

Du reste, il ne faut pas oublier que des logiciels restent maîtres dans certains domaines spécifiques : pour le tracé en 2D, AutoCAD est une référence, pour l’étude de projets avec des formes courbes complexes, des logiciels comme Rhino voire Autodesk 3ds max et Autodesk Maya n’ont pas leur pareil.

Quel est le quotidien du BIM manager chez VIGUIER ? Viens-tu notamment en appui de nombreuses personnes ?

Le quotidien actuellement consiste à essayer de bien planifier toutes les tâches BIM auxquelles l’agence doit faire face. Et elles sont de plus en plus nombreuses : démarrage de projet, test BIM à faire passer pour le recrutement, développement de nouveaux outils (via Dynamo Studio notamment), amélioration des outils mis en place dédiés au BIM, participer à des réunions de mise au point des conventions BIM, analyse des sujets BIM dans les contrats et dans les pièces marchés des entreprises, monter des formations spécifiques en interne (apprendre à faire des familles, réaliser un mur rideau, …), études des différentes plateformes BIM, échanges avec Yves Nguyen, l’informaticien de l’agence au sujet des postes de travail par exemple, veille technologique, pour n’en citer que quelques-unes.

Les tâches sont tellement nombreuses que je ne peux m’y atteler seul et que nous avons mis en place au sein de l’agence VIGUIER une cellule BIM. Nous ne sommes que deux pour le moment à y travailler de manière permanente. Mais à ce noyau, se greffent des collaborateurs experts en leur domaine qui prêtent main forte quand ils le peuvent. Il s’agit pour l’essentiel de coordinateurs BIM qui participent déjà au support de l’équipe de projet à laquelle ils sont associés. Cette organisation permet de répondre à pratiquement toutes les demandes de support en interne, j’essaie de déléguer les questions les plus courantes aux membres de la cellule BIM, pour ne conserver que les tâches les plus spécifiques et auxquelles les coordinateurs BIM ont le moins l’habitude d’être confrontés.

Parfois, il m’arrive de m’essouffler devant l’ampleur des sujets à mener de front.

Figure 8 : Planche familles ascenseurs – Exemple de travail d’organisation de la cellule BIM VIGUIER – Architecte VIGUIER 

Continues-tu à faire de la création architecturale ou t’occupes-tu essentiellement de BIM ?

Malheureusement, cela m’arrive de moins en moins d’être amené à faire de l’architecture, car la création architecturale reste mon principal centre d’intérêt. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de réaliser la conception architecturale sur Revit, il y a plusieurs années, d’une petite maison construite en Colombie, expérience toujours très revigorante.

Figure 9 : Maison Pinto – Quinchia, Colombie – Perspective d’étude – Photo de chantier – Architecte Samuel Locus
Figure 10 : Interrupteur Theo K – Etude d’impression 3D – Architecte Samuel Locus 

Sinon, l’approche qui me console du fait de m’être un peu éloigné de mon métier d’architecte, c’est quand je suis sollicité par les équipes pour trouver des solutions avec les outils de Revit ou de Dynamo afin de répondre à des données architecturales spécifiques. Je peux raconter deux exemples : le premier c’est quand s’est posé la question de savoir comment modéliser les façades du projet du futur siège d’Orange à Issy-les-Moulineaux. Chaque niveau possède une géométrie de façade propre qui ne se superpose pas précisément avec les niveaux hauts et bas. Un joint creux périphérique reprenant les hors aplombs. Différentes solutions ont été envisagées pour réaliser ce joint : création de familles spécifiques ou utilisation de murs et de dalles pour constituer les éléments du joint creux. C’est cette dernière solution qui a été retenue. Tout aussi excitant, la réalisation d’un bardage métallique dont l’inclinaison varie en fonction d’un dessin créé à la main par Sylvain Finateu, le chef de projet. Ce dessin manuel était intensément sombre pour les zones opaques et claires pour les zones avec un vitrage derrière le bardage. Le résultat était particulièrement probant même s’il n’a pas été retenu au final (la figure représente le négatif du crayonné).

Ce genre d’exercices font la spécificité de mon métier de BIM manager au sein d’une agence d’architecture que j’apprécie particulièrement.

Figure 11 : Concours Ilot Saupin – Nantes – Négatif du crayonné pour la déformation des ventelles – Architecte VIGUIER
Figure 12 : Concours Ilot Saupin – Nantes – Elévation avec ventelles relevées en fonction du crayonné – Architecte VIGUIER
Figure 13 : Concours Ilot Saupin – Nantes – Perspective façade avec ventelles relevées en fonction du crayonné – Architecte VIGUIER
Figure 14 : Bridge – Siège social d’Orange – Issy-les-Moulineaux – Travail sur le joint creux périphérique de façade – Architecte VIGUIER 
Figure 15 : Bridge – Siège social d’Orange – Issy-les-Moulineaux – Perspective de l’atrium – Architecte VIGUIER

Quels sont tes plus beaux souvenirs de projets en BIM ? Et les souvenirs plus compliqués ?

Les beaux souvenirs sont nombreux : il y a le Hall 7 précité pour lequel j’ai conçu les façades et la grande verrière de type shed avec Revit quand j’étais chez les architectes Valode et Pistre, chez VIGUIER le projet de la Tour en bois Hypérion avec le concours architectural gagné et primé lauréat du BIM d’Or 2019, le siège d’Orange à Issy-les-Moulineaux, le projet du Siège de VINCI Construction à Nanterre et son excellent BIM management que la cellule spécifique BIM de VINCI Construction France a mené en étude, la collaboration exceptionnelle de nombreux collègues de l’agence VIGUIER qui ont permis à l’agence de progresser aussi vite et aussi fort dans le domaine du BIM, l’appui de quelques directeurs pour certaines des initiatives que j’essaie de mener dans le BIM. Et toutes les autres réussites petites ou grandes que j’ai pu rencontrer au travers des divers projets BIM abordés par l’agence VIGUIER.

Les souvenirs les plus compliqués : Ils sont malheureusement légions également, mais s’amenuisent avec le temps. Il s’agit le plus souvent des tensions auxquelles l’agence a été confrontée lors de la mise en place du BIM pour des projets. Ces tensions apparaissent tant en interne qu’entre membres de la maîtrise d’œuvre voir avec les entreprises.

En interne, nous avons été confrontés à un accident cocasse : un collaborateur voyait chaque matin sa modélisation de la veille défaite. Il s’est avéré qu’un autre collaborateur refaisait chaque fois le travail inverse croyant que ses modifications n’avaient pas été enregistrées. Il s’agissait simplement d’un manque de communication au sein d’une équipe travaillant selon un mode ‘’collaboratif’’. Je crois que ces collaborateurs ne sont plus à l’agence du reste.

Entre membres de la maîtrise d’œuvre : il s’agit pratiquement toujours des mêmes sujets, à savoir le montage de la convention BIM souvent sujette à beaucoup de tensions.

Il faut savoir qu’il n’existe pas de règlementation précise en France concernant l’usage du BIM. Ce manque se ressent parfois cruellement lors des négociations pour savoir qui doit modéliser quoi, pour quand et pour atteindre quel objectif.

C’est d’ailleurs pour éviter à l’avenir ce genre de tension, qu’avec l’agence VIGUIER et plusieurs autres, nous avons monté l’association BIMARCHIS. C’est une association corporatiste qui a pour objectif de clarifier et d’encadrer la contribution BIM spécifique à la discipline de l’architecture dans le monde de la construction.

Vous avez été récompensés pour Hypérion. Peux-tu stp nous raconter la genèse de ce projet et le pourquoi de son passage en BIM ?

C’est une histoire pour laquelle je dois remercier à la fois le chef de projet David Sebastian Martin et l’architecte Nini Byrelid.

Figure 16 : Hypérion – Bordeaux – Perspective extérieure du concours réalisée avec Revit – Architecte VIGUIER

Le projet NEO était passé en mode standby suite au dépôt du permis de construire, appelé permis d’urbanisme en Belgique, et je venais d’être nommé BIM Manager de l’agence. La tâche était énorme à l’époque, il fallait créer les familles de l’agence, les gabarits, … C’est à ce moment que Nini m’a abordé pour me demander si je la suivrais si jamais le projet sur lequel elle travaillait passait sur Revit, il s’agissait du concours pour une tour en bois à Bordeaux. Elle avait déjà pratiqué Revit précédemment, mais n’était pas sûre de pouvoir assurer toute la complexité de la modélisation sur Revit et notamment le sujet des façades. Après mûres réflexions, je décidais de l’accompagner et ‘’d’intégrer’’ un peu à contre-cœur une équipe projet alors que j’étais en train d’accéder à un rôle plus transversal qu’est celui de BIM Manager Agence. Elle m’apprit qu’il y avait eu une mini consultation de projets au sein de l’équipe et que c’était le plan masse de la personne qui avait travaillé sur Revit qui avait eu la faveur du directeur du projet Christophe Charon et de Jean-Paul Viguier. Modéliser sur Revit lui avait donné un avantage car elle maîtrisait parfaitement les surfaces de son esquisse.

Ma première réticence s’est transformée en motivation avec l’idée que je pouvais profiter de cette opportunité pour prouver qu’il était possible de mener les études d’un concours d’un projet de cette ampleur sur le logiciel Revit, ce qui n’avait encore jamais été réalisé à l’agence VIGUIER.

Ma motivation fut encore accrue quand je m’aperçus que ce projet avait un cachet particulier d’un point de vue conception architecturale : le tout formait un ensemble harmonieux, malgré la présence d’un parking silo à cause du niveau de l’eau trop haut.

Le travail fut particulièrement intense et les nuits courtes.

Lors du rendu, des photographies de maquettes de tous les projets nous avaient été transmises. C’est là que j’ai compris que les architectes concurrents étaient parmi les plus grandes pointures mondiales. J’appris par la suite que l’un d’eux avait été disqualifié pour non-respect du règlement du concours. Un autre projet faisait le buzz sur les sites internet spécialisés en architecture. Et ce fut notre projet qui fut sélectionné, incroyable ! Je crois que le jour où j’ai appris que l’agence avait gagné fut l’un des plus beaux jours de ma carrière professionnelle.

Après cela, j’ai repris mon rôle de BIM Manager à 100%.

Figure 17 : Hypérion – Bordeaux – Perspective du concours depuis la rue Carle Vernet – Architecte VIGUIER

L’agence avait pour volonté de continuer les études de l’APS du projet Hypérion sur le logiciel Autodesk Revit.

C’est quand il a été question de calculer le bilan carbone du projet Hypérion par Eiffage Construction, que ceux-ci se sont rapprochés de nous et de notre modèle Revit pour demander à pouvoir lui appliquer une convention BIM. L’idée étant d’adapter la modélisation de manière à ce que notre modèle puisse intégrer les paramètres de la base de données INIES et ses fiches FDES. Ce n’était jamais que le troisième type de modélisation pour ce projet : celle du concours, celle de l‘APS hors convention BIM et celle de l’APD avec convention BIM.

La surprise de la désignation du projet Hypérion comme lauréat du BIM d’Or 2019 fut toute aussi grande que lorsque nous avions gagné le concours d’architecture.

Ce succès était inespéré, il est venu à point nommé pour couronner plusieurs années de dur labeur, de remise en question intense et de tant d’autres obstacles qui s’étaient accumulés sur le parcours du BIM à l’agence VIGUIER. J’en profite pour rappeler l’importance de l’investissement et du rôle joué par tous les collaborateurs qui ont œuvrés avec le BIM et pour le BIM chez VIGUIER, pour porter cette agence à son niveau de maîtrise du BIM actuel. Sans ce travail de l’ensemble des collaborateurs de l’agence, il n’y aurait pas eu tous ces succès. Je pense à Jean-François Guillot, à Camille Ajjan, à Julien Sibra, Christel Catteau, Alison Rondel, Mikhail Cadi, Enrique Custa Lorenzo, Enrico Cigolotti et à tant d’autres.

Cela a-t-il été difficile ? Et qu’est-ce que cela vous apporté ?

Oui, cela a été difficile, la transition vers le BIM demande de grands investissements en infrastructure et en formations. Elle transforme de nombreux aspects de la profession d’architecte. Tout cela demande du temps et des moyens avant d’être un tant soit peu maîtrisé.

Les changements, surtout pour la direction, ne se font pas sur base d’un seul projet, le projet Hypérion a été l’un des jalons qui a permis de faire bouger les digues en faveur du logiciel Revit, mais il en a fallu beaucoup d’autres pour définitivement convaincre de la pertinence de l’emploi d’un logiciel tel que Revit pour accomplir telle ou telle tâche au sein de l’agence.

Si des réticences persistent, c’est que toutes les équipes ne sont pas encore mûres pour modéliser sur Revit. C’est mon rôle de m’atteler à changer cela pour les quelques personnes qui rencontrent encore des difficultés avec le BIM chez VIGUIER.

Figure 18 : Archipel – Siège social de VINCI – Nanterre – Perspective depuis la toiture terrasse – Architecte VIGUIER
Figure 19 : Archipel – Siège social de VINCI – Nanterre – Elévation d’ensemble – Architectes VIGUIER – Marc Mimram
Figure 20 : Archipel – Siège social de VINCI – Nanterre – Zoom sur élévation d’ensemble – Architecte VIGUIER

Avez-vous exploité toutes les dimensions du BIM ? Avez-vous aussi fait de la simulation ?

Les domaines d’application du BIM sont vastes et certains encore peu développés. Les usages que nous faisons couramment au niveau des études, au-delà de la production courante de nos livrables, sont :

  • la cohésion spatiale des projets : vérifier la bonne coordination avec tous les modèles de la maîtrise d’œuvre de manière à ce que les éléments de la technique n’empiètent pas sur les espaces architecturaux. Nous n’effectuons pas en interne la présynthèse des lots techniques.
    • les échanges avec les économistes des projets via la production et les échanges des nomenclatures des pièces et des portes.
    • les visites virtuelles grâce à des plugin pour Revit tel qu’Enscape ou des logiciels de visualisation temps réel du type Lumion : cela permet de se faire une idée précise des espaces générés et un rapide aperçu des matériaux utilisés.
    • l’étude des cheminements des véhicules avec le plugin Autoturn pour Revit
    • les études d’ensoleillement
Figure 21 : Projet IOT – Toulouse – Etudes d’ensoleillement d’une terrasse sur toute une année – Luminosité du revêtement de sol inversement proportionnel à l’ensoleillement – Architecte VIGUIER

Figure 22 : Projet IOT – Toulouse – Etude d’éclairement avec vue sur la terrasse – Architecte VIGUIER

Pour le reste, le BIM évolue rapidement :

  • Par exemple, avoir une maquette produite par les entreprises pour tous les lots en phase chantier était encore inenvisageable il y a un an. Maintenant, pour certains projets, les entreprises de tous les lots produisent leur propre maquette.
    • Des sociétés fournissent des services de plus en plus étendus à partir du BIM : il y en a une qui prend l’objet pièce et permet à travers le cloud de maîtriser les données relatives à cette pièce quelques soit la phase, l’intervenant et pratiquement avec n’importe quel logiciel : en programmation, le client définit ses besoins : m², type d’espace, type de mobilier, dans son logiciel, … En études, la maîtrise d’œuvre prend en compte ces données pour élaborer son projet. À tout moment un aller-retour peut être réalisé entre les données établies par chaque intervenant pour les comparer. D’autres sociétés proposent des services concernant le lien entre le clone digital et l’exploitation du bâtiment. Les méthodes pour réaliser les relevés des bâtiments existants évoluent. L’écosystème du BIM s’étend et semble pouvoir proposer des services toujours plus innovants et difficile à anticiper tellement les champs des possibles sont étendus.

Pour notre part, la cellule BIM cherche sans cesse à améliorer la qualité du travail fourni par l’agence VIGUIER. Cela va de la recherche d’outils qui permettent l’amélioration de la qualité de la production des collaborateurs à la recherche d’applications qui peuvent indiquer le bilan carbone d’un projet.

C’est suite à la collaboration fructueuse avec Eiffage concernant le bilan carbone, que nous avons entrepris de pousser la réflexion plus loin concernant la base de données INIES et les fiches FDES. Actuellement, nous avons mis en place un atelier qui a pour but de développer des nouvelles routines Dynamo qui permettent de calculer l’aspect vertueux ou non de nos projets selon les normes environnementales.

Pour ce qui est des échanges avec des tiers de type bureaux d’études comme des simulations de déperditions thermiques, de descentes de charges, de calcul phonique, de simulation d’éclairement, je n’ai pas encore été confronté à ce type de simulation depuis un modèle Revit. Tout récemment, j’ai dû répondre à une exigence de Paris La Défense, l’organisme qui a la gestion de La Défense. Il demande la fourniture d’un clone de type IFC pour les projets qui les concernent. Ils les introduisent dans un modèle plus étendu et simulent par exemple les effets de la circulation du vent entre les tours de La Défense.

La digitalisation du monde de la construction n’en est qu’à ses débuts.

Quelles sont les particularités de ce beau projet en bois et en quoi le BIM a-t-il aidé à le développer ?

Le type de modélisation imposé par la convention BIM produite par Eiffage a permis d’avoir une modélisation du clone informatique qui était très proche de la réalité du projet construit. Cela aide pour toutes les étapes du projet tant en études pour la production des plans de ventes par exemple ou que ce soit en phase exécution pour la phase de visa.

Dans la maquette ont été définies toutes les typologies de panneaux de façades préfabriqués et de menuiseries.

Figure 23 : Hypérion – Bordeaux – Adaptation de la modélisation des panneaux préfabriqués des façades en bois et des balcons en fonction de la Convention BIM – Architecte VIGUIER 
Figure 24 : Hypérion – Bordeaux – Perspective du concours en contre plongée de la tour en bois – Architecte VIGUIER

Qu’est-ce que le BIM d’or a changé pour vous ?

L’urgence du moment étant le respect de l’environnement et la diminution de l’impact de l’activité humaine sur celui-ci, je considère ce trophée comme un message fort en faveur de tout ce qui peut aller dans ce sens.

Les retours qui nous ont été faits lors des différents évènements auxquels nous avons été invités à participer pour présenter le fruit de notre collaboration avec Eiffage allaient dans le même sens.

Si ce trophée a permis de médiatiser l’agence VIGUIER, le projet et le travail relatif à l’aspect environnemental qui l’entoure, cela a permis de mettre en lumière l’importance de conscientiser les collaborateurs de l’agence sur les aspects environnementaux du monde de la construction et probablement de manière plus large tout le milieu professionnel qui a suivi l’évènement.

C’est cet aspect qui a toujours suscité le plus de curiosité et de questions. Lorsque nous avons exposé que nous faisions de la recherche à ce propos, il nous a même été demandé de partager le fruit de celle-ci afin que d’autres agences puissent en profiter, ce à quoi je ne m’attendais pas.

Pour l’aspect pur BIM, cela montre que les efforts produits par l’agence dans ce domaine vont dans la bonne direction.

Figure 25 : Démarche environnementale itérative grâce à la l’utilisation combinée de la base de données INIES, Revit et Dynamo – Architecte VIGUIER

Bravo, une grande agence qui porte et pousse le BIM devant les autres ce n’est pas fréquent. Qu’en penses-tu ?

Pour nous, je pense que c’est une bonne chose de faire partie du peloton de tête des agences qui maîtrisent le BIM. Grâce à la qualité et l’envergure des projets que l’agence a dû mener en BIM et ce pour toutes les phases, l’agence a acquis une certaine maturité en BIM.

Je crois qu’il est toujours bon de montrer qu’une agence est motivée par l’appropriation de l’usage de nouveaux outils surtout quand cela peut avoir un effet positif sur la qualité de sa production.

Quel est votre élément différentiateur par rapport à beaucoup d’agences selon toi ?

Le BIM n’est plus tout neuf au sein des agences d’architecture. Cependant, plusieurs aspects peuvent nous distinguer :

  • L’importance que nous accordons à l’agence à la bonne maîtrise de la part des collaborateurs des outils BIM. Il y a eu d’intenses campagnes de formation.
    • L’agence n’a pas hésité à tester le BIM sur des projets qui ne l’exigeaient pas.
    • La pérennisation des collaborateurs ayant les bonnes maîtrises du logiciel Revit.
    • L’établissement d’une cellule BIM
    • La mise en place de véritables outils pour le BIM : un intranet reprenant les méthodes de travail de l’agence, des planches familles, …
    • L’intégration de l’outil Dynamo pour la gestion des bases de données que sont les fichiers Revit. Nous les utilisons tant pour l’aide à la modélisation que pour les gestions des données des modèles. Je remercie Antoine Binard pour son investissement dans cette tâche si particulière.

Selon toi, qu’est-ce que le BIM apporte aux agences d’architecture, notamment face aux autres intervenants du projets ?

Le principal atout reste la communication de l’information : en réunion, les modèles sont devenus de plus en plus indispensables. Les particularités géométriques d’un projet sont tout de suite comprises par les autres intervenants.

Figure 26 : Bridge – Siège Social d’Orange – Issy-les-Moulineaux – Axonométries/perspectives partielles – Structure – Réseaux CVC – Architecture + Structure + Réseaux CVC – Architecte VIGUIER
Figure 27 : Bridge – Siège social d’Orange – Issy-les-Moulineaux – Perspective vue depuis le pont d’Issy-les-Moulineaux enjambant la Seine- Architecte VIGUIER 

Tu es originaire de Belgique. Comment numérique et BIM sont-ils appréhendés là-bas ?

Je n’ai plus que des contacts sporadiques avec l’univers de la construction belge. Ce que je découvre à travers les projets que nous faisons pour la Belgique, c’est une approche intégrée de l’économie du projet : les architectes belges modélisent de manière plus précise les murs afin d’en retirer toutes les quantités. Le revers de cette méthode, c’est la lourdeur des modifications apportées au projet et le poids des fichiers surtout dans le cadre de grands projets.

Que penses-tu justement du déploiement et de l’adoption du BIM en France ? Trouves-tu que les pouvoirs publics mettent les moyens pour que cela progresse ?

Je crois qu’il y a de bonnes initiatives telles que la plateforme KROQI ou encore la MIQCP.

Mais je crois aussi qu’il y a encore d’importantes clarifications nécessaires :

  • Il n’existe pas d’organisme officiel de l’état qui édicte des règles concernant l’usage du BIM en France. Et les organismes missionnés par l’état ne prennent pas toujours en compte la spécificité de l’approche architecturale en France, elles ont tendance à trop calquer leur vision du BIM sur celle du monde anglo-saxon.
    • L’état devrait mieux soutenir les agences qui décident de s’investir dans le BIM en participant financièrement aux formations par exemple.
    • Il n’existe pas de classification de type OMNICLASS, UNICLASS ou UNIFORMAT en France. Ne faudrait-il pas en officialiser une ou en créer une ?
    • Les missions de maîtrise d’œuvre sont dimensionnées pour respecter la loi MOP et son adaptation pour les contrats privés. Or, le BIM a été pensé pour et par le monde anglo-saxon. Le BIM en France doit donc être repensé en partie pour s’adapter au marché français.

L’adaptation du processus BIM au contrat de marché public (loi MOP) ou privé (d’inspiration de la loi MOP) en France n’est pas encore tout à fait aboutie. Par exemple, pour répondre au contrat de type loi MOP, la modélisation d’une maquette numérique n’est pas nécessairement exhaustive ; on peut travailler par typologie d’éléments : étages types, sanitaires types, carnet de détail type, etc. Or dès que l’on évoque les LOD (LOD=Level Of Detail ou ND=Niveau de Détail) propre au processus BIM, cela définit de la modélisation exhaustive. Si les portes sont déclarées par la convention BIM avoir un LOD 300 pour la phase DCE, cela s’applique pour l’ensemble des portes de la maquette numérique. Il faut donc compléter le concept de LOD avec la notion de LOD par zonage dans cet exemple pour éviter le côté exhaustif de la modélisation.

  • Il y a dans la pratique confusion sur le rôle des maquettes en fonction de leur provenance. Avec le BIM, certains intervenants ont tendance à oublier l’importance de la répartition des rôles découlant de la loi MOP : la maîtrise d’œuvre transmet un modèle – dont peuvent être extraits les plans 2D – qui doit servir de guide à la production des documents d’exécution de l’entreprise. L’entreprise transmet un modèle avec les éléments tels qu’ils vont être exécutés. En France, il est rare que les agences de notre taille produisent les documents d’exécution. Lors d’un groupe de travail dans lequel la MAF était présente et auquel j’ai participé, celle-ci a d’ailleurs insisté sur le fait que l’architecte ne produisait pas les DOE (Dossier des Ouvrages Exécutés), mais que cela était de la prérogative exclusive des entreprises seules aptes à déclarer où leurs ouvrages avaient été réalisés, l’architecte produisant plutôt des plans de recollement. Malgré cela, il est arrivé que des entreprises exigent les maquettes de recollement de l’architecte pour réaliser leurs ouvrages. Ce qui n’était pas le cas à l’aire du 2D.

Et chez les architectes, quel est le ressenti par rapport au BIM ? Sont-ils selon toi ouverts, ou méfiants ?

Comme toujours, il y a des architectes qui vont profiter de l’aubaine de la naissance de nouvelles approches technologiques et d’autres qui vont faire des pieds et des mains pour ne pas à avoir à changer leurs méthodes de travail. L’opposition entre progressiste et réactionnaire a toujours existé en architecture, il suffit de se rappeler que Frank Lloyd Wright aurait dû suivre une formation classique à Paris ou la manière dont Le Corbusier a imposé un nouveau langage architectural grâce à l’usage novateur du béton armé.

Cependant, j’ai moi-même eu des craintes concernant l’usage du BIM. Par exemple, quand BIMObject ou Polantis prennent en main la modélisation des articles de la construction, on pourrait se dire que cela va aboutir à une standardisation du monde de la construction et la réduction du champ de la créativité des architectes. Mais les choses se sont équilibrées quand les architectes se sont mis à récupérer ces objets pour les adapter à leurs besoins. Dans cet exemple, il me semble que finalement tout le monde est gagnant : les entreprises ont fait connaître leurs produits et leurs limites d’usage et les architectes les ont modifiés car il fallait les adapter à des usages qui n’avaient pas été envisagés par leur fabricant. Ce genre d’exemple montre que des craintes peuvent être surmontées avec de la pratique et du recul.

Tu les dirais en avance par rapport aux autres acteurs ?

En France, je dirais que nous étions en avance dans le domaine de la modélisation. Pour ce qui concerne le domaine des possibles du BIM, je crois que des organismes comme Mediaconstruct étaient en avance sur toutes les applications qu’ils envisageaient de pouvoir appliquer au domaine du BIM. Les architectes sont souvent très forts pour la modélisation 3D et les BET très forts pour les informations qu’ils peuvent extraire des modèles. Cela s’est d’ailleurs vérifié avec le projet Hypérion pour lequel VIGUIER a réalisé la maquette, mais c’est Eiffage qui a eu l’idée de tirer profit de ce modèle pour en établir le bilan carbone ou pour piloter la préfabrication en atelier des ouvrages en bois de la tour.

Figure 28 : Concours du Siège social d’Orange – Bamako, Mali – Perspective et perspective technique – Architecte VIGUIER
Figure 29 : Concours du Siège social d’Orange – Bamako, Mali – Travail de modélisation de la toiture avec Dynamo – Architecte VIGUIER

Hormis le BIM, quelles sont les autres innovations que vous explorez, utilisez et développez chez VIGUIER ?

Les innovations que nous explorons sont : un logiciel de gestion de base de données pour les projets de l’agence, les outils de collaboration concernant les autres sujets que le BIM, le développement de l’intranet, la production de tutoriels sous forme de vidéos, l’impression 3D, la réalité virtuelle, …

Echanges-tu beaucoup avec tes pairs dans les autres agences ? Comment te « cultives-tu » sur tout ce qui est technologique afin de rester à la pointe ?

La première richesse d’une agence comme la nôtre, ce sont ses collborateurs. Il est important de pouvoir tirer parti au maximum de l’expérience acquise par les collaborateurs et d’échanger régulièrement avec eux. C’est comme cela par exemple qu’un collaborateur nous a fait connaître ‘’Enscape’’ plugin de Revit auquel nous sommes rapidement devenus accro.

Nous travaillons avec CAD U.C., un organisme de formation et fournisseur de licence des logiciels Autodesk. Cet organisme nous apporte du support technique quand cela est nécessaire.

Internet est une grande source de support technique. Il y a les sites internet officiels : Dynamo Forum, Village BIM, GitHub, … et tous type de tutoriels pour tout et n’importe quoi.

En France, nous avons la chance de pouvoir compter sur des organismes de type PRUG (Paris Revit User Group NDLR) ou LYRUG (LYon Revit User Group NDLR) avec des personnes compétentes comme Vincent Bleyenheuft, Daniel Hurtubise ou encore récemment Elodie Godo. En organisant des événements plusieurs fois par an, cela permet de rencontrer des professionnels du BIM et d’échanger avec eux.

Il y a aussi les événements organisés par Autodesk ou les autres éditeurs de logiciels qui permettent de prendre connaissance des nouvelles tendances dans le domaine du BIM tant au niveau national qu’au niveau international.

Quels sont vos prochains projets de développement en termes de numérique chez VIGUIER ?

Il y a les tutoriels filmés que nous n’avons pas encore développés à l’agence et pour lesquels nous devons réaliser une méthodologie de production.

Il y a le sujet du bilan carbone qui est en cours de développement.

J’aimerais étendre les champs d’application des outils Dynamo pour ce qui est de la production de géométries complexes.

Il y a l’association BIMARCHIS que ses membres et moi-même devons faire connaître afin de mieux communiquer et échanger sur les usages du BIM vus depuis la corporation des architectes. Le site www.bimarchis.org est en chantier mais déjà accessible.

Un domaine de recherche qui m’attire tout particulièrement, c’est le bois. Le travail de l’ébéniste français Pierre Renart qui associe bois et fibre de carbone ou de l’institut ITKE de Stuttgart qui réalise des pavillons en bois sous forme de voûte composés de modules préfabriqués en contreplaqués et d’une portée de plus de 30m m’inspirent énormément. J’espère qu’un jour un atelier au sein de l’agence pourra se développer sur base de ce thème de recherche que je crois très prometteur pour la construction.

Figure 30 : Logo BIMARCHIS – Association BIMARCHIS – Site :  www.bimarchis.org

Connaissais-tu ABCD Blog et qu’en penses-tu ?

Je connais ce blog et je suis heureux de voir que son auteur a été élu parmi les 10 personnalités BIM Influencers 2019.

Le BIM n’étant pas encore arrivé à maturité, il est important que des blogs ou des sites internet communiquent sur ses différentes évolutions au niveau national ou mondial.

Voudrais-tu passer un message particulier à nos lecteurs d’ABCD blog ?

Le trophée du BIM d’Or reçu pour le projet Hypérion, un projet résolument tourné vers la construction vertueuse envers les enjeux environnementaux, est à prendre comme un signal d’exigence que ces paramètres accompagnent tous les projets architecturaux à venir.

L’un des cas d’usage possible du BIM est de pouvoir déterminer la qualité environnementale d’un projet. Il est sans doute urgent de s’atteler à la généralisation de ce bilan pour que chaque projet immobilier futur puisse être construit en bénéficiant des meilleurs choix au regard de cette approche.

Une proposition : que tous projets présentés sur des sites internet ou qui font l’objet d’une communication médiatique soient accompagnés d’une fiche environnementale. Cela permettrait de conscientiser sur cet aspect toute personne qui s’intéresse de près ou de loin à l’univers de la construction.

Le BIM est une aventure en soi, pourquoi ne la pousserait-on pas plus loin en l’associant à l’avenir de l’humanité ?

Samuel, un grand merci pour ton temps, ton regard sur ton métier et son évolution, ta maîtrise du sujet et cette belle expérience et ce parcours passionnants que tu nous as relaté. Nous te souhaitons de continuer sur la voie de ce grand succès pour l’avenir.

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