Dans notre série des interviews BIM, nous avons cette semaine le plaisir de recevoir une Femme au parcours de grande qualité qui a créé sa structure il y a quelques mois et qui a réussi à allier la pratique de l’architecture à celle du BIM. Echangeons avec Angela Valentin, créatrice de la Société Evydence.
Bonjour Angela, pourrais-tu te présenter en quelques mots à nos lectrices et lecteurs ?
Bonjour Emmanuel, je suis Angela Valentin, architecte et BIM Manager. Depuis 2023, je suis également entrepreneure. J’ai créé la société Evydence où je propose des services de BIM Management et d’architecture.
Quelle est ta formation d’origine et comment t’est venue cette passion pour l’architecture ? Etait-ce un rêve d’enfant ?
Je suis architecte, diplômée de l’Université Lusíada au Portugal. Ayant grandi dans une famille qui travaillait dans le secteur du bâtiment, j’ai été immergée dans cet univers très jeune. Dès l’âge de 6/7 ans, je passais du temps sur les chantiers. Je me souviens qu’à la maison, il y avait toujours des plans d’exécution et de nouveaux dossiers qui arrivaient. J’étais fascinée par le fait que ce soit l’architecte qui fusse à l’origine d’une construction. Donc oui, je pense que c’était un rêve d’enfant.
Quid des nouvelles technologies ? As-tu découvert la 3D et le BIM lors de tes études ou avais-tu déjà un goût prononcé pour l’informatique avant cela ?
Je n’ai pas forcément un gout prononcé pour l’informatique, mais j’aime utiliser des outils qui m’aident à formaliser mes idées et leur donner vi.
C’est lors de ma cinquième année d’études en architecture au Portugal que j’ai découvert la 3D et le BIM, grâce à l’un de mes professeurs, Paulo Alexandre Teves da Silva (docteur en systèmes et sciences de l’information, UMinho 2000). Il faut dire que le Portugal a toujours été un peu en avance en termes d’utilisation de logiciels 3D et BIM. C’est d’ailleurs l’un des pays où Revit avait une forte présence, avec l’Italie et le Royaume-Uni.
Ensuite en 2009, j’ai suivi une formation à Revit, avec Miguel Miranda (Atelier Arq2525), pionnier dans l’utilisation de cet outil au Portugal.
Cette approche m’a tout de suite intéressée, car elle me permettait de mettre mon énergie sur la partie conceptuelle et formalisation du projet et non la production des pièces graphiques.
Pourrais-tu nous parler de ton parcours professionnel stp ? Nous nous sommes notamment croisé lors de ta carrière chez Bouygues Construction. Quel était ton rôle, qu’y as-tu fait et quelles expériences t’ont marqué lors de ce passage ?
J’ai débuté ma carrière professionnelle en 2010 au sein de diverses agences d’architecture Lyonnaises. En 2013, j’ai intégré le pôle Conforme Habitat au sein de la direction technique de Bouygues Bâtiment Sud-Est.
Mes premières missions consistaient à modéliser des maquettes de synthèse pour garantir la conformité des études en phase finale et détecter les incohérences avant la transmission des projets au service Travaux. Ces premières années au sein du groupe Bouygues Construction ont été essentielles pour mon développement professionnel, car elles m’ont permis de compléter ma formation initiale tout en élargissant mes connaissances et compétences techniques.
Par la suite, j’ai accompagné le déploiement des méthodologies BIM au sein de l’entreprise, en participant activement à la mise en place des maquettes métiers, à la création des maquettes centrales, ainsi qu’à la gestion des serveurs dédiés. Avoir été impliquée dans ces phases de transition et avoir contribué à leur mise en œuvre me sert encore aujourd’hui dans de nombreuses situations.
Faire partie d’un groupe d’une telle envergure, à une époque où le BIM en était encore à ses prémisses, a véritablement été une expérience marquante dans ma vie professionnelle.
Tu es ensuite passée dans 2 grandes sociétés d’ingénierie. Ce qui t’a notamment permis de plonger dans l’univers de l’infrastructure et de l’ingénierie. Le saut dans ce nouveau domaine n’était-il pas trop dur pour une architecte ? Qu’y as-tu découvert de passionnant et qu’y as-tu appris ?
Ces expériences m’ont permis d’élargir ma vision du BIM et d’acquérir des connaissances sur des typologies de projets qui m’étaient jusque-là peu familières. Mon passage chez Bouygues m’avait bien préparée, en me dotant de bons réflexes, notamment en termes d’organisation. Cependant, cela m’a également poussée à m’ouvrir à l’openBIM, à remettre en question certains de mes acquis, ainsi que mes méthodologies de déploiement des écosystèmes BIM.
En tant qu’architecte et BIM Manager, j’adopte toujours une approche fondée sur deux axes essentiels : les besoins spécifiques du projet et ceux des acteurs impliqués dans sa réalisation. Je mets un point d’honneur à accorder une attention particulière aux individus, car dans chaque chaîne de production, la contribution de chacun est primordiale.
D’un point de vue technique, il est aujourd’hui possible de réaliser presque tout, pourvu que l’on dispose du bon budget et des profils adéquats. Cependant, il est beaucoup plus difficile de maîtriser la dynamique des équipes et le management. En tant que facilitateur des méthodologies de production, notre rôle consiste à identifier ces points sensibles et à les anticiper, afin de garantir la fluidité et l’efficacité du travail collaboratif.
Quand as-tu découvert les outils Autodesk pour la première fois et qu’est-ce qui t’a plu et marqué ?
J’ai découvert les outils Autodesk au cours de mes études d’architecture, en commençant bien sûr par AutoCAD, puis en me familiarisant avec Revit en 2009, juste avant de travailler sur mon projet de fin d’études. Revit m’a été d’une aide précieuse pour la production de mes pièces graphiques, notamment grâce à son exigence en matière de cohérence et de précision. J’ai particulièrement apprécié la rigueur que cet outil imposait dans la conception, me permettant de mieux structurer et optimiser mon travail tout en assurant une continuité entre les différentes phases du projet.
Qu’est-ce qui te plait le plus dans le BIM ? Les outils, les méthodes, l’humain ? Quel est d’ailleurs selon toi le ratio entre chacun de ces points ?
Pour moi, le BIM, c’est : 60% d’humain , 25% de méthodes et 15% les outils. Je m’explique :
Dans un projet, l’essentiel réside dans l’identification des besoins individuels des contributeurs pour identifier le processus adapté aux exigences du projet. Ceux-ci s’appliquent à tous les acteurs du projet que sont la maitre d’ouvrage, l’architecte, les bureaux d’études… Un BIM Manager ne peut réussir pleinement sa mission sans la capacité à rassembler les individus autour d’un objectif commun, en dépit des divergences qui surviennent inévitablement. C’est ce processus collaboratif qui donne toute sa valeur au BIM, en mettant l’accent sur l’humain et sur la capacité à surmonter les défis ensemble. Ce parcours riche en apprentissage et en coopération est souvent aussi important que la solution elle-même.
C’est une étape passionnante, car on décompose, on comprend et on identifie les besoins d’un cahier des charges, mais aussi d’un programme pour mettre en place la « meilleure » solution possible. Cette phase, associée à la compréhension des besoins des acteurs du projet, est la plus intéressante et importante dans le déploiement d’un écosystème BIM.
Les outils sont au service du projet et on ne doit pas leur donner le « pouvoir de décider », c’est-à-dire que le projet ne doit pas subir de limitations ou de complexification à cause d’un outil. Identifier ou développer les bons outils devient quelque chose d’aisé quand les bons ratios sont appliqués.
En tant que Femme professionnelle reconnue dans ton domaine, dirais-tu qu’il est difficile de s’imposer dans le milieu du BIM ?
Oui, sans doute, mais pas plus que dans d’autres secteurs – bien que ce soit un tout autre débat. Le BIM est un outil qui permet de mettre en avant nos compétences techniques, organisationnelles et relationnelles. Cependant, les femmes doivent souvent faire preuve de plus de patience pour s’imposer dans ce domaine. Nous devons justifier, ou nous nous sentons dans l’obligation de justifier notre légitimité technique, de rassurer nos interlocuteurs.
On se met aussi souvent beaucoup plus de barrières que nos homologues masculins, on ose moins.
Quels projets t’ont le plus marqué dans ta carrière jusqu’à présent ?
Mon premier projet comme BIM Manager a été la prison de Lutterbach. C’était la première fois que je manageais un projet composé de 80 modèles BIM et d’une ambition de gestion du patrimoine. Ce projet a sans doute été le plus formateur pour moi. J’ai réalisé que, au-delà du pilotage de la production du BIM, il était crucial d’intégrer la direction de projet dans l’organisation des études. J’ai compris que c’était la clé pour réussir un processus BIM efficace.
Le deuxième projet marquant a été le dépôt Métro La Rose pour la RTM à Marseille. C’était ma première expérience de réhabilitation en site occupé, ce qui ajoutait une complexité supplémentaire. J’ai suivi ce projet de près, depuis les études de conception jusqu’aux études d’exécution, tout en assurant la gestion de l’interface entre la production numérique et la synthèse technique. Ce projet m’a permis de mieux appréhender les défis spécifiques à la réhabilitation en site actif et d’affiner mes compétences en gestion de projet BIM dans des environnements complexes.
Tu as aussi été impliquée au niveau national dans la rédaction de rapport autour du BIM pour l’infrastructure. Pourrais-tu stp nous en parler ?
Oui, j’ai participé à la deuxième session du projet MINnd, au sein du groupe de travail sur les jumeaux numériques. Les membres du groupe avaient une expertise bien différente de la mienne. Mon expertise est très opérationnelle, par conséquent, mon rôle était d’analyser le document pour qu’il reste accessible au plus grand nombre.
Qu’est-ce qui t’étonne toujours après tant d’années dans le BIM de constater dans la mise en place de ce processus ? Des choses qui n’ont par exemple aussi pas encore été intégrées ?
Je pense que le problème, c’est que trop de choses ont été intégrées !
Et que nous sommes d’éternels insatisfaits. Souvent, lors d’échanges avec un client, à la question, quels usages voulez-vous faire des modèles numériques ? La réponse est « tout ». Mais cela ne veut rien dire. Je suis plutôt d’avis qu’il faut penser à des structurations évolutives avec des règles de production qui permettront de s’adapter à de nouveaux besoins.
Aujourd’hui, lorsqu’un BIM Manager crée une convention BIM, il est entendu que toutes les options ont été testées et que le processus retenu est celui qui correspond le mieux aux besoins du projet. Cependant, je suis souvent sollicitée en tant que support technique pour trouver des solutions plus adaptées. Cela m’amène à constater un manque de sobriété dans l’application des processus.
Les processus BIM doivent être des réponses à des besoins clairement identifiés. Pourtant, il manque souvent de temps en amont pour intégrer correctement l’écosystème BIM lors du lancement de la production. Ce manque d’investissement initial dans la structuration, l’échange et la responsabilisation de chaque contributeur pénalise la fluidité et la réussite des projets. Il est crucial de réserver du temps pour la mise en place d’une organisation solide et d’une structuration de l’information évolutive, car c’est là que réside la clé d’une production BIM réussie.
Je pense que la production manque parfois de sobriété. Tout le monde s’accorde à dire que les données sont cruciales, mais cela ne signifie pas que les processus doivent être inutilement compliqués. La mise en place de méthodologies efficaces demande un travail rigoureux, car elle doit tenir compte d’un grand nombre de facteurs. Il est essentiel de se rappeler que le BIM est là pour servir le projet, et non l’inverse. La simplicité a une réelle valeur : *less is more*.
Nous avons encore beaucoup à apprendre des méthodologies de production d’autres industries et d’autres pays.
Quand et pourquoi as-tu décidé de fonder Evydence ?
Au niveau professionnel, j’ai eu la chance de travailler avec des personnes qui m’ont inspirée et permis de m’épanouir, toutefois j’ai un gout prononcé pour les défis. L’entrepreneuriat fait partie, au même titre que le bâtiment, de mon ADN familial.
Depuis 2013, j’ai occupé les rôles de BIM Modeleur, Coordinateur BIM, puis BIM Manager sur divers types de projets et de bâtiments. J’avais bouclé un chapitre au niveau professionnel.
J’avais un réel besoin de relever de nouveaux défis, et je ne voulais pas me retrouver enfermée dans un rôle trop rigide et balisé. L’entrepreneuriat est venu répondre à ces aspirations.
Toutefois, j’ai attendu de me sentir légitime sur le plan professionnel avant de me lancer. J’ai fondé Evydence à un moment où je cherchais à donner plus de sens et de cohérence à ma vie professionnelle. Je suis convaincue que c’est le changement et le fait de sortir de ma zone de confort qui me permettait d’évoluer.
De plus, je crois fermement que le changement, la polyvalence, la mise en danger est ce qui rend l’humain singulier.
Quels différents services proposes-tu à tes clients ? L’architecture y joue-t-elle un rôle important ?
Dans le domaine du BIM, j’accompagne les architectes et les bureaux d’études dans la mise en œuvre des processus BIM. Je prends en charge des missions de BIM management pour des projets de maîtrise d’œuvre, notamment sur des marchés publics.
Plus récemment, on m’a sollicité pour accompagner des futurs ingénieurs en alternance dans l’adaptation de la vie en entreprise et je collabore avec des centres de formation pour la création de contenus sur la formation de modeleurs BIM.
En ce qui concerne l’architecture, je collabore avec deux architectes, Joana Matos et Patricia Oliveira, au niveau européen, principalement sur des projets résidentiels et de réhabilitation. Amies dans la vie, nous partageons des valeurs architecturales communes et mettons un point d’honneur à créer une architecture, centrée sur les besoins des individus. Grâce à nos parcours professionnels variés, nous sommes en mesure d’offrir un service global, de la conception architecturale au design d’intérieur, jusqu’au suivi des travaux.
Est-ce un retour aux sources ? La création te manquait ?
Oui, absolument ! Travailler sur de grands projets, notamment en tant que BIM Manager, est très gratifiant. Cependant, j’avais envie de revenir à l’essence même de ma formation. L’habitat, avec sa dimension de refuge et de protection, a une signification unique pour chacun. Pour un architecte, comprendre, imaginer et concevoir ces espaces est profondément épanouissant. Offrir à quelqu’un la possibilité de transformer un espace en un véritable lieu de vie est, à mes yeux, d’une importance capitale.
Fais-tu plus du neuf ou de la réhabilitation ? Petits ou grands projets ?
Actuellement, nous nous concentrons principalement sur des projets de logements individuels, aussi bien en construction neuve qu’en réhabilitation.
De quels projets es-tu la plus fière et pourquoi ?
Il m’est difficile de choisir un projet en particulier dont je serais la plus fière, car j’ai toujours été très sélective dans les projets architecturaux sur lesquels je travaille. Chacun d’eux a eu une importance particulière pour moi. Que ce soit une réhabilitation complexe ou une nouvelle construction, chaque projet représente un défi unique qui m’a permis de grandir en tant qu’architecte. Je suis particulièrement fière de la manière dont j’ai su intégrer des valeurs humanistes dans mes réalisations, en concevant des espaces qui répondent véritablement aux besoins des personnes qui y vivent. Ce souci du détail et de l’impact humain est quelque chose que je porte dans chaque projet, et c’est ce qui les rend tous significatifs à mes yeux.
Quels sont tes outils au quotidien ?
Au quotidien, j’utilise principalement la Collection AEC d’Autodesk, notamment AutoCAD, Revit, et Navisworks.
La collaboration avec les intervenants d’un projet se passe-t-elle toujours bien ou le BIM a-t-il selon toi encore du chemin à parcourir ?
Je pense que l’apprentissage des méthodologies BIM a encore du chemin à parcourir. Malheureusement, ce n’est pas encore une habitude ancrée chez tous les acteurs du secteur. Mon rôle est justement de veiller à ce que tout se déroule harmonieusement, mais il y a encore des résistances. Le changement fait peur et il est nécessaire de surmonter cette appréhension.
Qui sont tes clients types ? MOA, Architectes, Clients privés, entreprises ?
Mes clients sont principalement des agences d’architecture, des bureaux d’études, des centres de formation, ainsi que des clients privés.
Couvres-tu tout le territoire français ?
En tant que BIM Manager, je couvre l’ensemble du territoire français. En Architecture, notre activité s’étend également à l’Espagne et au Portugal.
Utilises-tu aussi des outils de rendus ?
Oui, j’utilise principalement Lumion pour les rendus. La représentation photoréaliste des espaces que nous créons reste importante pour un architecte.
Tu es une experte de la modélisation. Quels sont les outils que tu préfères dans Revit et pourrais-tu nous dire pourquoi, exemple à la clef ?
Je suis particulièrement fan du module terrassement des dernières versions de Revit. Il permet de travailler les terrains de manière beaucoup plus fluide, ce qui représente une grande avancée dans la conceptualisation des projets.
J’apprécie aussi la génération de familles, ainsi que les outils pour la conception des escaliers. L’éditeur de familles permet de développers des objets aussi simples que complexes comme des garde-corps traditionnels à l’ancienne.
Quels sont tes passions à côté de ton travail et quel point commun y trouves-tu avec le BIM ?
Je passe tout mon temps libre à la campagne en pleine nature. J’ai la chance d’avoir un lieu qui me permet de me reconnecter avec la nature.
Par ailleurs, j’aime transformer des objets, leur donner une seconde vie. C’est un espace de liberté que j’apprécie, cela m’aide à regarder des situations sous une autre perspective. Le lien avec le BIM est évident !
As-tu aussi des activités créatives à côté ?
Oui, j’aime retranscrire les émotions au travers de la peinture. L’expression donnée à la matière, le choix des couleurs sont souvent une forme d’exprimer, ce qui est parfois difficile à expliquer.
Comment vois-tu ta société évoluer d’ici quelques années ?
Dans quelques années, j’espère développer la partie BIM Management vers une offre de services qui tende à sensibiliser les acteurs vers des pratiques uniformisées au sein de leurs structures.
Pour l’architecture, nous évoluerons vers des projets plus grands, mais aussi une architecture plus centrée sur le besoin de l’individu et la possibilité d’appropriation et de transformation des espaces tout en tentant de limiter les contraintes de normalisation.
Y-a-t-il quelque chose de particulier que tu souhaiterais dire à nos lectrices et lecteurs ?
Oui, tout seimplement, n’hésitez pas à sortir de votre zone de confort, la rencontre avec autrui reste la meilleure forme d’épanouissement professionnel et personnel.
Comment peut-on te contacter pour faire appel à tes services ?
On peut me contacter via ma page LinkedIn ou bien par e-mail : contact@evydence.fr
Angela, un grand merci pour le temps que tu nous as accordé. Nous te souhaitons de continuer ta route semée de succès.