Il est peu fréquent qu’ABCD blog traite des sujets relatifs à la structure. Nous avons cette semaine la chance de recevoir et d’interviewer une professionnelle reconnue dans le domaine pointu de la structure, Francesca Casciaroli, qui a un parcours passionnant et une vision des plus intéressantes.
Elle a de plus décidé de voler de ses propres ailes récemment et elle a créé sa structure, MEMILA. Beaucoup la connaissent en France dans ce petit milieu de l’Ingénierie et la construction. Mais sans plus tarder, asseyons-nous et échangeons avec Elle.
Bonjour Francesca et ravi de te recevoir sur ABCD Blog, c’est un honneur et un plaisir. Pourrais-tu stp te présenter en quelques mots ?
Bonjour Emmanuel, merci pour l’invitation. C’est un honneur pour moi, j’avoue, je ne suis pas du tout habituée à l’exercice, mais je vais essayer de faire de mon mieux !
Jeune, du moins dans ma tête, italienne de 36 ans. Je suis passionnée par la nature, les chats, et extrêmement curieuse. Je ne me lasse jamais d’apprendre de nouvelles choses…
Une vraie « serial learner ».
J’aime le grand air, les randonnées et la mer. Oui, regarder la mer, avec un livre à la main est sans aucun doute l’un de mes péchés mignons favori. Sinon, j’aime aussi cuisiner et encore plus manger !
Je vis en France depuis 12 ans, si l’on compte également mon année d’Erasmus, inoubliable.
Quelle est ta formation d’origine, où l’as-tu faite et pour quelles raisons as-tu voulu te dédier à l’ingénierie ?
Je suis ingénieure-architecte de formation. J’ai fait mes études au « Politecnico di Milano », il s’agit d’un cursus de 5 ans qui intègre les cours d’ingénierie et ceux d’architecture.
J’ai toujours été très curieuse, rigoureuse, avec des facilités dans les matières scientifiques, dans le dessin technique ainsi qu’avec d’autres passions très complémentaires. Un bon couteau suisse, comme qui dirait !
Comme j’étais assez bonne élève au lycée, les professeurs m’orientaient plus vers l’ingénierie ou la médecine. L’ingénierie pure, je la trouvais trop « ennuyeuse » (désolé), mais j’ai découvert à une journée portes ouvertes qu’un cursus comme celui d’EDA (Ingegneria edile e architettura) me permettrait de réunir tous mes centres intérêts : j’y ai très vite adhéré !
Et 17 ans plus tard, je ne regrette absolument pas ce choix.
J’ai eu aussi la chance, comme je le disais, de faire mon année d’Erasmus à Paris, à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées en suivant certains cours également à l’École d’Architecture de Marne-la vallée.
Tu nous as dit une phrase très vraie lors d’un échange au sujet des projets que tu traites, des relations avec les architectes et de la manière dont tu voyais ton rôle et son impact ?
Alors, j’aimerais me rappeler de la phrase précise, mais ce n’est pas le cas, malheureusement !
Je trouve que le rôle que je peux avoir sur un projet est celui d’unir, de coordonner, de faire parler deux mondes, qui trop souvent s’opposent.
Pouvoir parler les deux « langages » me permet d’avoir une vision plus complète de la construction, d’avoir le pragmatiste d’un ingénieur et la sensibilité d’un architecte. Je me suis toujours bien sentie au milieu de cette contradiction, dans l’équilibre de ces deux aspects qu’apparemment tout oppose.
Au final, le but est bien concevoir et de construire des beaux projets, non ? Où la beauté s’accorde avec le bien-être. C’est-à-dire, des endroits capables d’être à la fois agréables à vivre, économes en énergie et en ressources naturelles, mais aussi en améliorant leur environnement.
Dès la fin de tes études, tu as souhaité venir travailler en France, pour quelle raison ? Était-ce un rêve ou une opportunité ?
C’était clairement une opportunité. J’avais adoré mon année d’Erasmus, mais au fond de moi, je n’aurais jamais pensé quitter l’Italie, et m’installer dans un autre pays un jour.
Comme toute jeune diplômée, j’ai envoyé des milliers de CV, d’abord en Italie. Mais je n’ai pas eu de réponses intéressantes, et je ne suis pas très patiente ! Donc, j’ai rapidement élargi mes recherches aux pays dont je parlais la langue. Et une très belle opportunité en France s’est offerte à moi.
Je ne remercierai jamais assez Georges Mandica, PDG de COGECI à Lyon, pour l’opportunité qu’il a offerte à la jeune ingénieure que j’étais. Il m’arrive encore de relire, avec nostalgie, mon CV de l’époque… Quelques fautes d’orthographe, uniquement des expériences académiques, mais une grande envie de bien faire et de montrer qui je pouvais devenir.
Ton parcours a été passionnant. Pour quelles sociétés as-tu travaillé et qu’en as-tu retiré ?
Ma première société a été COGECI, une PME lyonnaise spécialisée en études de structure d’ouvrages d’art, génie civil et bâtiment. Une très belle expérience qui a duré 6 ans. Je dois beaucoup aux gens qui m’ont épaulée, formée (et déformée) ces années-là !
En sortant de l’école, on a beaucoup de compétences, mais on n’est pas forcément prêt pour le monde du travail. J’ai trouvé des collègues compétents et prêts à répondre à mes (nombreuses) questions. L’ambiance était plutôt familiale et donc optimale pour apprendre et évoluer. J’y ai appris les bases de mon travail et fait beaucoup de calculs, en tant qu’ingénieur structure. C’est mon socle « dur » et la crédibilité sur laquelle j’ai pu asseoir toute la suite de ma carrière. Certains collègues sont encore aujourd’hui des amis chers.
Ensuite, j’ai changé d’échelle et je suis passée chez Arcadis, une ingénierie internationale avec 27 000 personnes dans le monde. Cela a été un grand saut pour moi, pas seulement parce que j’ai changé de ville, mais surtout parce que j’ai complètement changé de taille d’équipe et de projet.
Arcadis m’a permis de toucher à de grands projets et de vivre l’expérience humaine d’un plateau technique. C’était aussi l’occasion de voir toute la puissance du BIM.
A l’époque, COGECI avait été prévoyant et les projeteurs avaient été formés à Autodesk Revit à partir de 2005, mais c’est chez Arcadis que j’ai pu entrevoir la véritable utilisation et puissance d’une maquette numérique BIM.
Faire de la 3D pour faire de la 3D, c’est très plaisant, mais utiliser la maquette comme moyen d’échanger les informations et organiser les données, c’est une toute autre chose !
La suite, se passe dans un grand groupe français. J’ai été un membre de la direction technique d’Eiffage Construction, sous la direction de Rodrigue Coyere, pendant 2 ans.
J’avoue que cela a été un honneur de travailler avec des collègues qui sont connus et reconnus dans le monde de la structure. Chaque échange a été extrêmement intéressant et cela m’a permis de voir la construction sous le prisme de l’entreprise. Il y avait des projets très intéressants et à forte valeur ajoutée, et des compétences complémentaires facilement accessibles dans le groupe. Ensuite, j’ai aussi fait un court passage chez BG, pour un peu retrouver la maitrise d’œuvre.
Donc en une dizaine d’années, j’ai connu plusieurs vies : Ingénieur de calcul en structure, ingénieur et chargée d’affaire en structure, chef de projet, directrice et experte technique. Mais, malgré toutes ces vies (ne l’oubliez pas, j’aime les chats), j’avais envie d’en tester d’autres…
Je suis profondément convaincue que beaucoup de compétences peuvent être transposées entre les métiers. Du coup, je me suis dit que c’était le moment de voler de mes propres ailes et de créer ma propre boîte. C’est comme cela que « me.mi.la » a vu le jour !
Tu as d’ailleurs été la pionnière du travail collaboratif en BIM niveau 3 dans certaines grandes sociétés de construction. Pourrais-tu nous raconter cela ?
Comme je le disais précédemment, chez Arcadis j’avais pris goût au travail collaboratif. J’ai pu travailler sur le fabuleux projet « Mille Arbres », bâtiment-pont lauréat du concours « Réinventer Paris » en 2017. Tout était réuni. Deux agences d’architectures, 60000 mètres carrés, l’utilisation d’Autodesk BIM 360 Team (désormais Autodesk BIM Collaborate Pro) et des synchronisations sur les modèles centraux, directement sur le cloud entre plusieurs équipes en France. Je savais que c’était possible, je l’avais fait.
Du coup, chez Eiffage Construction, la possibilité de remettre en place un tel processus collaboratif s’est présentée sur le projet du « Centre commercial Mac Arthur Glen » de Giverny. Trois bureaux d’études d’Eiffage travaillaient avec l’agence d’architecture Arte Charpentier. Ils ne l’avaient pas encore testé sur un projet grandeur nature, mais la BIM Manager, Sandra Franko, m’a fait confiance et la plateforme Autodesk BIM 360 a été mise en place pour l’équipe structure. J’avais besoin que les projeteurs aient tout le temps la maquette à jour et que l’on ne perde pas de temps à répéter des taches déjà réalisées.
MOA : Mac Arthur Glen
MOE : Arte Charpentier Architectes
Modèle Revit ©Mac Arthur Glen, Giverny
MOA : Mac Arthur Glen
MOE : Arte Charpentier Architectes
Photo Chantier ©Mac Arthur Glen, Giverny
Le choix avait été fait pour une question de collaboration à distance entre plusieurs personnes. On aurait pu travailler avec une maquette sur le serveur local, mais après plusieurs tests, cette solution était particulièrement lente, notamment avec les VPN, etc.
Mais coup de chance, ou pas, quand la pandémie est arrivée, nous étions déjà prêts ! La phase PRO du projet a été rendu fin mars 2020, en plein premier confinement.
Tu avais donc anticipé la vague Covid en quelque sorte avant l’heure. Les choses ont-elles évolué depuis lors ?
Quasiment tous les projets du BES (Bureau d’études Structure d’Eiffage Construction) sont maintenant sur BIM 360, et c’est avec une certaine fierté, que j’ai été l’initiatrice du « protocole de création du projet sur BIM 360 » ! Comme quoi, même si les changements sont difficiles à entreprendre, quand on montre que les choses fonctionnent bien, les collègues adhèrent rapidement ! Pour beaucoup d’entreprises le Covid a été un formidable coup d’accélérateur au changement de méthodes de travail.
Sur quels projets emblématiques as-tu travaillé ? Nous avons le souvenir de choses assez exceptionnelles…
Plusieurs projets ont été marquants pour différentes raisons, quelques fois pour des raisons humaines et d’autres fois pour des raisons plus techniques.
« Mille Arbres » est vraiment le premier qui me vient en tête. Cela reste encore aujourd’hui mon plus grand projet (en termes de montant de travaux). Malheureusement, je ne suis pas sûre qu’il se construise un jour, mais au moins, j’ai pu participer à sa conception ! Je travaillais avec des équipes d’architectes de renommée internationale, sur un plateau technique, avec des experts de différents domaines. La forme en pyramide inversée du bâtiment, en elle-même, était déjà techniquement un grand défi… Beaucoup de personnes qui ont partagé cette expérience avec moi sont devenus de très bons amis. Ce projet était un véritable vivier de talents.
MOA : Ogic + Compagnie de Phalsbourg
MOE : Sou Foujimoto + OXO
Modèle Robot © Arcadis
MOA : Ogic + Compagnie de Phalsbourg
MOE : Sou Foujimoto + OXO
Modèle Revit Structure © Arcadis
Un autre projet marquant est « la patinoire d’Asnières ». Je ne sais pas pourquoi je m’obstine à travailler et à donner toute mon énergie sur des projets qui ne se feront pas ! Mais, j’ai pu collaborer à nouveau avec 3 agences d’architecture et 3 maitrises d’ouvrage (oui…) Il semble que j’aime la collaboration, mais surtout le défi…
Tu sembles avoir un rapport au numérique et au BIM inédit et naturel, que nous n’avons vu nulle part ailleurs. Pourrais-tu nous en dire deux mots stp ?
Ma relation avec le numérique commence de très loin. J’ai eu mon premier PC à 6 ans. Microsoft Windows tel qu’on le connait aujourd’hui, n’existait pas… Cette phrase ne me rajeunit pas ! Mais je savais écrire en ligne de commandes pour arriver à lancer mes jeux. Les priorités de cette époque…
A vrai dire, j’ai toujours été une geek (Lineage et LoL, je connais bien…) et cela m’a surement fait perdre des jours de sommeil. Mais cela m’a surtout donné une facilité avec les outils informatiques.
Ils ont toujours fait partie de ma vie, et donc, tout naturellement, ils font partie de mon travail.
Je suis une bosseuse qui a horreur de tout ce qui est répétitif, dans les projets, dans mes tâches quotidiennes. Je perds de l’intérêt si je sais faire une chose, ou si je l’ai déjà fait. Donc, tout ce qui peut être standardisé, automatisé ou transformé m’intéresse. Mon grand regret est de ne pas savoir programmer ! Peut-être un jour et avec un peu de temps…
La première année au Politecnico, on avait un cours de dessin à la main. J’ai toujours adoré cela depuis le lycée. Dès la deuxième année, en 2006, j’ai eu des cours d’AutoCAD, cela nous a permis de réaliser tous les projets directement depuis nos PC.
Le dessin à la main est resté, notamment pour des croquis, pour réfléchir et communiquer rapidement. Mais très vite, nous avons été amenés à utiliser, ce qui allait être notre meilleur allié durant les dures nuits de charrette : Notre cher ordinateur…
La dernière année, dès mon retour d’Erasmus, j’ai eu des cours de modélisation avec différents logiciels pour qu’on puisse faire notre PFE sur le logiciel le plus adapté : AutoCAD, Rhino, Revit et d’autres modeleurs du même type que ce dernier. En 2010 donc, je faisais mes premiers pas sur Revit.
Pour nous, jeunes étudiants en ingénierie et architecture, c’était assez innovant et troublant comme outil. On pouvait faire le modèle 3D directement pour le montrer aux professeurs, mais aussi les plans, les coupes et les façades en même temps !
Je ne sais pas si vous pouvez imaginer, mais dans nos petites têtes, on voyait les heures de sommeil gagnés… On avait déjà 3 ans d’AutoCAD derrière nous, et leurs interfaces assez similaires nous ont facilité sa prise en main.
D’ailleurs, quand as-tu fait la connaissance du numérique et du BIM ? Était-ce durant tes études ? Était-ce une passion, un besoin, ou une évidence ?
Ils sont selon toi indissociables de ton métier ?
J’ai envie de dire que je n’imagine pas la plupart des projets, sur lesquels j’ai travaillé, menés à bien sans les outils d’aujourd’hui.
Je ne modélise plus depuis longtemps, je suis devenu une « exploitante » de la maquette, pour m’extraire des données ou bien vérifier l’avancement du projet. Elle me permet d’avoir les informations que je cherche à une vitesse assez incroyable je dois le confesser.
En 2011, si je ne comprenais pas une partie du projet, soit je demandais à un projeteur de me produire une coupe, soit je me mettais à la faire. Vous n’imaginez pas le temps gagné…
Désormais, mon métier est indissociable du BIM et j’attends de voir les prochaines évolutions. Vu que je suis passionnée par l’industrialisation de la construction, en ce moment, je pense que le DfMA passera forcément par des processus BIM.
Quels avantages ces procédés digitaux t’apportent-ils ? Était-ce d’ailleurs une demande de la MOA ou ton choix ?
Je ne suis pas une utilisatrice directe du modèle analytique mais j’ai eu dans mes équipes des personnes qui s’occupaient de cela. La re-saisie est le « mal ultime » pour la performance d’un bureau d’études.
Le projeteur réalise la maquette Revit, l’ingénieur réalise le modèle de calcul. Je grossis le trait, mais les deux font plus ou moins la même chose.
Donc, si on définit un « protocole de modélisation » qui permet à la fois de modéliser et d’avoir de beaux plans 2D, mais aussi à l’ingénieur d’avoir un modèle analytique fiable, le temps gagné est considérable ! Comme je l’ai déjà dit, je n’aime pas réinventer l’eau tiède. S’il existe un modèle Revit, je veux pouvoir le réutiliser pour mon modèle de calcul.
Tu as donc banni les pratiques traditionnelles ou restent-elles toujours présentes ?
Dans les premières phases de conception (la fameuse « feuille blanche »), je pense que le BIM n’est pas la bonne solution.
Et puis, beaucoup préfèrent continuer avec un processus peu performant, mais qu’ils maitrisent, plutôt que de se former. Le changement fait bien souvent peur… Donc on ne peut pas encore se passer entièrement des pratiques traditionnelles ! Mais j’avoue que si j’ai le choix, et qu’on me fait confiance, je pousse pour intégrer le BIM, quitte à sortir de mon rôle et à aider les équipes à progresser.
ME.MI.LA, un bien joli nom qui représente le début d’une belle aventure, ta société. Quand et pourquoi as-tu pris cette décision ?
L’idée trottait dans ma tête depuis l’été dernier (2021). Le Covid, les changements dans ma vie personnelle, mon caractère bien trempé, mon impatience, me poussent à vouloir faire bouger les choses et vite… Je ne supportais plus les surcouches de hiérarchies et l’inertie. Me mettre à mon compte était devenue une évidence ! Mais la peur d’échouer a été plus importante que l’envie d’entreprendre. Puis en 2022, l’occasion s’est présentée à nouveau et cette fois-ci, j’étais assez confiante pour la saisir.
Je voulais faire de la structure, mais aussi du management de projet et de l’innovation. Aucune entreprise ne pouvait m’offrir ces trois rôles en même temps.
Mes « Expériences », Mes « Intérêts », mon « LAboratoire ». En clair, je mets à profit ce que je suis, et ce que je sais, pour la réussite des projets… Et l’expérimentation.
« me.mi.la » est née en mars 2022, et j’ai de très belles histoires à écrire et à raconter avec elle.
Tu travailles seule ? Le numérique et le BIM y jouent-ils un rôle important ?
Oui, je suis seule chez me.mi.la, du moins, pour l’instant.
C’est mon laboratoire, mon parc de jeux, si l’on veut. Donc, je pense avoir besoin d’expérimenter les champs du possible avant de commencer à le structurer.
Le BIM jouera toujours un rôle important quand il s’agira d’intégrer les équipes de MOE. Je vise des projets de moyenne et grande taille, où heureusement le BIM n’est plus une question.
Sur d’autres types de mission dits « d’expertise », le BIM ne rentrera pas, ou peu, en jeu.
Tu fais justement de la simulation structure et des calculs de charge, RDM, etc. Est-ce toi qui crée les maquettes ou les récupères-tu ?
Ces dernières années, j’ai eu des collègues « juniors » qui montaient les modèles de calcul, j’étais en ce qui me concerne, plus dans un rôle d’encadrement, de correction et de vérification.
Mais grâce à me.mi.la, peut-être que je serai amenée à en refaire et notamment avec l’association de Revit et Sofistik. Je voudrais au moins les tester directement une fois sur un projet.
Travailles-tu sur toutes les échelles de projets ou as-tu des tailles de prédilection ?
J’ai eu la possibilité de travailler sur vraiment tous types de projets, de la villa au projet de 300M€.
J’avoue avoir une prédilection pour les projets au-dessus de 40M€. Je suis à l’aise quand il y a de grands enjeux. Mais surtout, ils permettent une recherche d’organisation optimale.
T’intéresses-tu aussi aux sujets d’industrialisation de la construction tels que le hors site, la préfabrication et l’impression 3D ?
C’est un peu mon dada du moment, depuis début 2021, j’ai beaucoup lu sur le sujet. Malheureusement, seule l’industrie de la construction dans les pays nordiques, Singapour ou l’Angleterre, par exemple, ont complétement intégré le sujet.
La raréfaction des matières premières et de la main d’œuvre, l’augmentation des prix, la diminution du pouvoir d’achat, la perte de rentabilité, le besoin d’intégrer des matériaux biosourcés, la prise en compte du bilan carbone, la diminution de la tolérance des citadins aux gênes dues aux chantiers… Sont autant d’indicateurs qui montrent qu’il est temps de s’intéresser à ces sujets en France.
Il y a de timides exemples, et quelques sociétés qui se lancent, je suis cela de très près. L’accompagnement dans l’industrialisation de la construction est l’une des missions que je propose avec me.mi.la, et à vrai dire, celle sur laquelle il m’intéresserait le plus de travailler en ce moment.
Les aspects esthétiques des projets t’intéressent-ils ou est-ce purement leur structuralité ? Es-tu plutôt une adepte de Pier Luigi Nervi ou des ingénieurs contemporains qui souvent se préoccupent peu de cette beauté structurelle ?
La forme, l’aspect et la fonction sont complémentaires. Je n’apprécie pas les architectures en tant qu’« œuvre d’art ». Nous avons la chance de créer des espaces de vie, dont les trois aspects doivent s’accorder. La beauté est importante pour moi, certes, sinon je n’aurais pas suivi ce cursus, mais l’aspect ne fait pas tout.
Je suis une grande fan de Nervi, c’est assez incroyable ce qu’il a fait avec les outils de l’époque. C’est l’exemple parfait d’un ingénieur qui a asservi ses compétences à la « beauté » du projet. Évidemment qu’en recoupant quelques portées, cela aurait fait des structures plus simples et moins coûteuses. Mais où aurait été le geste architectural ? C’est quand l’architecte et l’ingénieur travaillent, main dans la main, que les chefs d’œuvre naissent. Non pas à cause de la recherche de complexité, mais plutôt par l’échange et la communication, il faut à mon sens, comprendre les contraintes de l’autre pour trouver les meilleurs accords.
Tu es d’origine italienne comme moi 😊Selon toi, qu’est-ce qui fait de nous un peuple bâtisseur et intéressé à l’innovation pour nos métiers, notamment au niveau universitaire (alors qu’en France, cela semble plus difficile) ?
Si, je suis 100% italienne DOP (Appellation d’Origine Contrôlée comme le Prosecco) !
La France est le pays qui m’a adopté dans la vie active. Je ne sais pas si notre côté « bâtisseur », comme tu le dis, m’aide dans mon métier au quotidien. Mais naître en Italie, c’est naître avec la beauté sous nos yeux avec tous ses paysages, son architecture, les arts…
Nous avons à chaque coin de rues, des éléments qui nous rappellent notre culture millénaire, c’est une responsabilité que de la conserver et de la transmettre, en quelque sorte. Notre travail sera là pour des dizaines, voire, des centaines d’années et aura un impact sur la vie de milliers de personnes. J’essaye de me rappeler de cela.
La France est également un magnifique pays avec une incroyable histoire, mais au niveau de la formation, je trouve que la rupture entre l’Ingénierie et l’Architecture est trop brutale.
Il suffit juste de voir que les deux cursus d’études supérieures ne dépendent pas du même ministère ! Il y a de plus en plus de « doubles diplômés », comme moi, et je suis convaincue que cela fait du bien aux deux professions. L’Architecte n’est pas forcément l’artiste « insensé » et l’Ingénieur celui qui veut faire des cubes partout, il faut arrêter avec ces stéréotypes et aller au-delà.
Quelles sont tes passions hors Ingénierie ?
Hors ingénierie, il y a quelque chose ? (rires)
Blague à part, la construction et l’Architecture m’intéressent beaucoup et du coup, ils prennent de la place aussi dans ma vie, en dehors du travail. Sinon la lecture, les chats… La cause animale de manière générale et la nature sont quelques-unes de mes autres passions.
En parlant de grand air, depuis plusieurs années, je fais le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, c’est d’ailleurs une expérience que je conseille vivement à tout le monde. Au-delà du nombre de kilomètres parcourus et du poids de votre sac, humainement, cela vous apporte énormément. J’ai fait des rencontres magnifiques durant mes pèlerinages.
J’ai aussi passé un moment de ma vie au CrossFit, d’ailleurs ça serait bien que je recommence ! C’était une vraie « toccasana» ( trad. panacée) pour me vider l’esprit.
Y-a-t-il quelque chose de particulier que tu souhaiterais dire à nos lectrices et lecteurs ?
J’espère déjà ne pas vous avoir trop ennuyés, parce que j’ai la fâcheuse tendance à trop parler surtout quand un sujet me passionne !
Sinon, un message, soyez ouverts aux changements et surtout disponibles pour les plus jeunes qui commencent dans le métier. J’ai été très chanceuse d’avoir eu un mentor à mes débuts, qui m’a tout appris, avec une générosité qui m’a touchée. Merci, Pierre-Yves Danion ! J’essaye de rendre la pareille aux jeunes que je croise, dans le cadre de mon travail, ou dans le cadre associatif (Article 1). Ne craignez pas de partager votre savoir. « Rising by lifting others ». Je crois que cela résume bien ma manière de fonctionner.
Comment vois-tu l’évolution de MEMILA d’ici quelques années ?
Très difficile à dire, nos métiers évoluent tellement vite, et heureusement, mes intérêts aussi.
J’espère que je réussirais à embarquer dans cette aventure des gens passionnés prêts à se réinventer. Je suis un « animal social » et ma force est de connaitre les gens autour de moi afin de leur permettre d’exploiter au mieux leur potentiel.
Chère Francesca, nous te remercions sincèrement et te souhaitons un grand succès avec MEMILA. Bravissima !
Merci encore pour cette belle occasion, à bientôt autour d’un Spritz !