ABCD Blog est heureux d’accueillir à nouveau l’un des Papes du juridique et du BIM en France et dans le monde, Maître David Richard. Il vient évoquer avec nous un sujet des plus passionnants, à savoir la Médiation en Développement Urbain (MDU) que nous ne connaissions pas encore. David Richard nous ouvre ainsi des horizons sur la convergence naturelle et de taille entre ce sujet d’actualité et le numérique.
Lexterra Avocats
Avocat au barreau de Paris- Médiateur RICS
Docteur en droit
Mobile : 06 71 55 73 89
David, bonjour et ravi de vous accueillir à nouveau sur ABCD Blog. Nous avons décidé d’évoquer avec vous la Médiation en Développement Urbain (MDU), mais en préalable pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour Emmanuel, c’est un plaisir partagé. Je suis avec attention les publications d’ABCD Blog, et avoir l’opportunité de passer de l’autre côté de la force est toujours un vrai bonheur :).
Concernant mon activité professionnelle, je suis avocat au barreau de Paris et j’interviens dans les domaines de la construction, l’immobilier et aussi de manière plus limitée sur l’urbanisme. Au sein de ce secteur, j’ai développé depuis quelques temps maintenant une expertise autour du BIM et plus généralement sur le phénomène de digitalisation des secteurs sur lesquels j’interviens. Enfin, je suis médiateur RICS (Royal Institute of Chartered Surveyors) également dans ces matières.
La MDU étant un concept nouveau, le premier réflexe serait de vous demander de définir ce concept de façon à en appréhender les grandes lignes.
Sur le principe, c’est assez simple. Il s’agit d’appliquer le processus de médiation à des projets d’aménagement, construction et réhabilitation qui prennent plutôt place sur des territoires déjà urbanisés, sans que cela exclut des projets de même nature en milieu rural.
Concernant la notion de médiation, elle se définit comme un processus structuré dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur (Article 3 de la directive 2008/52/CE). La médiation est l’un des modes de résolution amiable des différends, que prévoit le code de procédure civil.
Cela n’est pas un peu étrange de parler de différend en amont, par exemple, de la production d’un bâtiment qui par principe représente une plus-value, y compris sociale ?
Vous avez raison et il est important de le rappeler. Un projet de développement urbain quelle que soit sa nature est porteurs d’améliorations ne serait que par sa fonction première : l’apport d’un service, qui permet à des personnes d’occuper un espace dédié pour y vivre, travailler, étudier, se divertir, se déplacer, etc.
Toutefois, si l’acte de construire est globalement positif in fine, sa mise en œuvre donne lieu à des tensions, ou à tout le moins un besoin d’adaptation puisqu’un projet de développement urbain se traduit par des changements. C’est donc sur ce besoin d’apaisement ou d’accompagnement que le processus de médiation va être utile.
Ce processus tout en étant structuré et d’une grande souplesse, et il peut tout à fait s’appliquer à une opération immobilière. D’ailleurs, de nombreuses expériences en lien avec le développement urbain ont déjà utilisées, voire utilisent, la médiation en France comme à l’étranger. Simplement, les expériences passées s’appliquent plus à des projets de portée générale comme la définition des règles de construction sur l’ensemble d’un territoire ou un projet spécifique (exemple : projet de renouvellement urbain).
La MDU consiste d’une part à généraliser le recours à la médiation et cela pour tout type de projet, même modeste, à chaque fois qu’un besoin existe.
De même, le mécanisme de médiation appliqué au développement urbain diffère quelque peu de celui utilisé pour un différend classique, notamment en raison de la présence de nombreuses parties présentant des profils, des intérêts, des approches très différents les uns des autres. Il existe néanmoins beaucoup de travaux et d’expériences en la matière, notamment venant de l’étranger. J’ajouterais que la médiation ou, disons des formules proches existent et se développent dans le cadre des travaux de construction.
Rien ne s’oppose donc à une médiation centrée sur le développement urbain à l’échelle d’un projet.
Aménager, construire ou réhabiliter sont des opérations déjà très encadrées et d’une certaine complexité. Ne craignez-vous pas que la MDU contribue encore à complexifier et donc alourdir les projets ?
Vous avez raison, produire des bâtiments, des infrastructures ou des zones d’aménagement sont des opérations balisées minutieusement et lourdes à mettre en œuvre. Un maître d’ouvrage, public ou privé, doit impérativement passer par la case de l’autorisation d’urbanisme avec tout ce que cela suppose.
Y compris en présence de projets disons modestes, les acteurs doivent effectuer des tâches et démarches lourdes, pour certaines d’une grande technicité et cela sur des périodes relativement longues. Il en résulte assurément une certaine complexité. Néanmoins, en raison de mutations profondes, cette complexité va grandissante tant au regard des bâtiments ou autres qui sont produits que de la manière dont ils le sont.
Ainsi, aujourd’hui, un projet de construction en milieu urbanisé doit compter avec ce qu’on appelle les avoisinants, les riverains ou les 1/3, avec un rôle non négligeable. Nombre d’entre eux contestent les autorisations d’urbanisme, à tel point que dans certaines villes, cela devient la règle. Il en résulte un accroissement des tensions, et donc des délais et des coûts.
C’est pourquoi si d’une certaine façon la MDU révèle une complexité existante en la formalisant, elle constitue avant tout un outil contribuant à traiter cette complexité de façon organisée.
Vous parlez de mutations justifiant la MDU, quels sont exactement ces phénomènes ? Et quelle est leur ampleur ?
C’est le cœur du sujet. Nous sommes confrontés à de nombreuses, et vous le savez parfaitement à ABCD Blog (sourires). Les passer toutes en revue semble ici hors de propos.
Toutefois, si l’on s’en tient au principe de l’acte de construire, c’est-à-dire la décision de produire par exemple un bâtiment, en se plaçant sur un temps long qui débuterait au 19ème siècle, cette décision ou prérogative était essentiellement le fait du propriétaire/ maître d’ouvrage. Puis, les pouvoirs publics sont devenus des acteurs décisionnaires à cet acte, au travers de l’urbanisme réglementaire qui s’est développé après la Seconde Guerre mondiale. Ces deux acteurs ne doivent pas être mis sur un même plan, mais d’une certaine façon, ils concourent tous deux à modéliser par leur décision le projet.
Ce duo va rester, même s’ils évolueront. Dans le même temps, cette approche avec une initiative individuelle respectueuse d’un cadrage collectif ne suffit plus, ou disons peine à suffire et suffira de moins en moins. Le cercle s’étend de façon variable et il est nécessaire de disposer d’un cadre dans lequel cette nouvelle configuration puisse prendre en place, pour éviter les situations de blocage et les conflits ouverts.
Il s’agit d’une tendance de fond qui va aller grandissante. En s’en tenant à l’exigence de développer la ville, difficile à remettre en cause sérieusement, il est évident que si elle s’énonce sans peine, son application, elle modifie en profondeur la dynamique d’un projet. Par définition, celui-ci va se développer dans un milieu contraint, et ce milieu va avoir des incidences sur le projet, en dehors de la situation des lieux, etc. Les personnes ayant un intérêt sur ce projet seront par définition plus nombreuses, et des interactions nouvelles prendront place.
Cette tendance forte s’exprime déjà sur certaines villes, mais plus généralement, le phénomène est loin d’être mature et va se développer sur un temps. La MDU qui en est seulement une conséquence va donc elle aussi prendre du temps avant de se stabiliser.
Dans un article récent, vous indiquiez que les outils digitaux utilisés par les professionnels de l’AEC peuvent trouver à s’appliquer dans le cadre d’une MDU. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Effectivement, j’ai évoqué cet aspect en citant à l’appui de mon propos deux articles d’ABCD Blog (Rires).
Le premier article très éloquent correspond au témoignage d’un maire qui pour aider ses concitoyens à appréhender l’émergence d’un quartier nouveau avait présenté le projet à l’aide de modèle BIM, voire du CIM. Le second portait sur un sujet un peu différent. Il s’agissait du développement d’une application qui avait permis une forme de financement participatif d’un musée. Grâce à la technologie, les investisseurs avaient la faculté de s’approprier virtuellement des parties du bâtiment, ce qui avait des vertus facilitatrices.
Pouvez-vous développer votre propos au-delà de ces exemples ?
Bien sûr, avec plaisir ! En fait, comme je l’ai indiqué, les mutations à l’œuvre autour de l’acte de construire emportent plus d’acteurs, des acteurs disposant d’un niveau d’expertise technique faible par comparaison aux professionnels intervenant sur un projet (qui eux inversement tendent à se spécialiser), et des profils variés.
De la sorte, face à un projet, même en se limitant à l’appréhension physique d’un espace qui va être construit ou aménagé, il y a une vraie difficulté sur le fond à disposer d’une vision commune. Les professionnels comprennent mal cette difficulté, mais elle est pourtant réelle. Se projeter et imaginer une construction ou un aménagement sur la base d’un plan, voire d’une maquette physique n’a rien d’évident.
Or, sans vision commune au sens propre, impossible d’établir un dialogue. Les modèles numériques représentent donc des outils puissants de partage, sans réels équivalents, y compris auprès de publics non avertis. L’épisode du débat sur la reconstruction de Notre-Dame et le réaménagement de ses abords atteste de cette force. En dehors de l’apport incroyable du processus BIM sur le projet en tant que tel, les modèles numériques ont été un outil incroyable afin de permettre un échange autour des projets pour les appréhender communément. Je pense que sans les modèles BIM, le débat aurait sans doute plus compliqué, moins attractif notamment. Je précise néanmoins que je ne me prononce ni sur les termes de ce débat, ni sur son résultat.
En dehors de l’appréhension du projet, on pourrait évoquer la question des data de celui-ci, ou la possibilité de disposer de plateformes d’échanges numériques, qui sont nécessaires à l’organisation d’échanges pour faciliter, accompagner, expliquer, convaincre. L’exemple du financement du musée évoqué plus haut me paraît aussi intéressant, en particulier pour ce qu’on appelle l’urbanisme participatif. Ce concept se distingue de la MDU tout en se conjuguant parfaitement avec elle.
Dans cette perspective, peut-on également établir des liens avec la digitalisation des autorisations d’urbanisme qui a été mise en place depuis le début de l’année en France ?
Absolument. La dématérialisation des autorisations d’urbanisme facilite les démarches en vue de les obtenir, tout comme il rend plus aisée l’instruction de ces autorisations par les services compétents.
Ces services émanent le plus souvent de collectivités qui d’un point de vue juridique ont la compétence pour les délivrer ou les refuser. En pratique, leur rôle va bien au-delà de cet aspect normatif. Certains s’en plaignent, considérant qu’ils outrepassent leurs prérogatives au profit des uns ou des autres, ce qui arrive. Dans le même temps, il faut reconnaître qu’une approche purement réglementaire confinerait à l’absurdité avec à la clef de nombreuses frustrations.
Pour conclure, pouvez-vous nous dire quelle sera la prochaine étape en matière de MDU ?
Difficile de répondre à cette question. À court terme, la MDU nécessite d’être utilisée pour des projets divers et variés, puis de donner lieu à un travail d’évaluation et de réflexion autour de son apport, le tout de façon répétée pour lui assurer un développement solide à l’avenir. Et, disons-le, ce développement s’inscrit sur un temps long.
J’espère aussi que ce cheminement nous conduira à venir évoquer à nouveau – voire à plusieurs reprises, la MDU avec vous !
David, un grand merci pour cet échange très instructif. Au plaisir d’échanger à nouveau ensemble !