De la bonne préparation des gabarits, fichiers, objets de bibliothèques et standards de l’entreprise dans le workflow BIM, au même titre que la formation, dépendent le succès de l’implémentation du processus BIM au sein d’une société. Nous recevons cette semaine un Architecte et Expert confirmé du domaine qui s’est notamment spécialisé dans la modélisation des familles complexes, Michel Bernasconi et qui va nous en dire plus en quelques questions essentielles sur ces sujets.
Bonjour Michel, bienvenu sur ABCD Blog. Pourrais-tu stp te présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
Je suis Architecte D.P.L.G. depuis juin 1985. Je me suis intéressé dès cette époque à l’informatique graphique et j’ai fait un stage à l’IUT de Cachan en 1988, pendant 8 mois, sanctionné par un diplôme intitulé « Pratique des systèmes de CAO« .
J’ai participé au sein de mon agence pendant plus de 25 ans à des concours de Marchés Publics dans le domaine du Sanitaire et Social. En même temps que le travail de conception je remplissais le rôle de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui un « Model Manager« .
Depuis maintenant 4 ans je fais de la formation, de l’accompagnement et de la prestation d’objets de bibliothèques sur le logiciel Autodesk Revit.
Tu es architecte de formation et tu as une longue expérience dans ce domaine. Mais depuis combien de temps as-tu commencé à t’intéresser au BIM ?
J’ai toujours été un peu à l’affût en matière de nouveautés dans le domaine de l’informatique graphique appliquée à notre métier et j’ai commencé à m’intéresser aux logiciels fonctionnant comme des bases de données au début des années 2000.
J’ai adopté définitivement cette façon de travailler il y a une dizaine d’années.
Combien d’années d’expériences as-tu sur la pratique du métier en BIM et qu’est-ce que cela apporte selon toi aux architectes ?
J’ai maintenant un recul d’à peu près 8 ans sur la pratique du métier avec ces nouveaux outils.
Ils apportent au travail quotidien des concepteurs une cohérence et un confort dans la gestion de l’évolution du projet inconnus jusqu’alors et les libèrent des tâches graphiques fastidieuses inhérentes à la CAO des années 80/90.
Ils possèdent en outre dans leurs gènes la notion de collaboration aussi bien à l’intérieur de l’agence que vis-à-vis des partenaires qui constituent l’équipe BIM de maitrise d’œuvre.
Tu as depuis quelques années aussi décidé aussi de t’orienter vers le déploiement du BIM dans les agences. Pourquoi et comment cela se passe-t-il de manière pratique ?
Ayant moi-même été confronté à cette mutation importante à l’intérieur de mon agence, j’en mesurais pleinement les difficultés et je sentais bien que contrairement aux logiciels « d’autrefois », la simple formation initiale aussi pertinente soit-elle, ne suffirait pas au déploiement.
En collaboration avec la société Eurostudio, nous avons mis en place un programme d’accompagnement qui permet, après cette formation initiale, d’assister les stagiaires sur site, dans leurs conditions de travail réelles et sur des cas concrets de projet.
Cela permet à la fois de rassurer les personnes dans ce bouleversement de leurs méthodes de travail et de tranquilliser les employeurs sur la pérennité de leurs investissements dans les logiciels et la formation.
Tu crées aussi gabarits et objets de bibliothèques appelées familles. En quoi cela est important pour une agence qui décide de passer au BIM ?
Parce que je le constate au quotidien dans différentes agences, la mise en place d’un gabarit complet et adapté ainsi que la création d’une bibliothèque d’objets performante constituent une véritable » machine de guerre » susceptible de répondre aux enjeux d’une création et d’une production efficaces dans un contexte de plus en plus exigeant et mouvant.
Sans cela le processus de
mutation peut s’avérer laborieux et l’agence peut même perdre un peu de la
qualité de son identité graphique si importante pour les Architectes.
Dans les agences que tu as formées, y-a-t-il en général un Expert attitré de la création des familles ou pas ?
En général, il n’y en a pas et c’est à mon sens pour 2 raisons principales.
D’abord s’agissant de l’univers des familles dans Autodesk Revit, cette partie du logiciel est souvent méconnue, et évoquée succinctement dans la formation initiale par faute de temps.
Ce chapitre mérite qu’on lui consacre plusieurs jours dans des programmes de formation en perfectionnement qui sont parfois proposés mais peu suivis.
D’autre part, même si l’on trouve des personnes susceptibles d’endosser la charge de « Model Manager », l’étiquette d’Expert dans la création des familles peut faire craindre à certains d’être « cantonné » dans ce rôle en perdant ainsi un peu de leur identité de concepteur.
Sur les familles, tu as acquis un savoir-faire incontournable. Peux-tu stp nous en dire un peu plus ?
Incontournable, tu es très gentil ! Disons surtout que cela m’a intéressé dès le départ. J’ai senti qu’il y avait là un formidable potentiel à créer des objets « sur mesure », en pouvant les doter de différents comportements, et d’en maîtriser les aspects graphiques si importants dans notre métier.
L’environnement des familles s’appuie bien évidemment sur le principe du paramétrique (plans de références gérés par des cotes associées à des paramètres) si constitutif de l’univers d’Autodesk Revit. Si la géométrie 3D se verrouille sur ces plans de références, on dispose en outre d’une palette d’outils graphiques 2D très adaptés aux besoins de la production de documents à différentes échelles.
Tu crées principalement des familles pour les architectes ou aussi pour les autres disciplines ?
J’essaie effectivement de rester dans le domaine que je connais le mieux et je n’aurais pas forcément une grande pertinence sur des familles concernant par exemple les fluides qui me paraissent pourtant toujours très intéressantes.
Néanmoins, j’ai eu l’opportunité ces dernières années de travailler sur du mobilier de vente à l’occasion d’une formation et d’un accompagnement dans une société de la très grande distribution. J’ai pu constater une fois encore la polyvalence et l’interdisciplinarité du logiciel.
Est-ce une passion pour toi de t’être spécialisé sur ce sujet ?
On peut le dire ! Aussi étrange que cela puisse paraitre à certains, c’est pour moi devenu une véritable passion de travailler au quotidien dans l’univers des familles.
Combien de temps passes-tu sur la création d’une famille ?
Voilà la question à laquelle il est quasiment impossible de répondre tant les spécificités des typologies de familles sont différentes.
Ce qu’il faut savoir c’est qu’indépendamment de l’ergonomie de la famille et du « cahier des charges » plus ou moins exigeant, le plus long dans les familles complexes telles que les fenêtres, c’est l’implémentation des éléments de lignes symboliques 2D qui permettent de décliner les niveaux de détails (faible, moyen, élevé).
C’est une phase qui demande de la méthode, du soin, du savoir faire et donc du temps !
Quelles sont les règles incontournables à respecter ?
Je pense qu’il faut avoir une bonne maitrise des catégories de familles Revit et s’appuyer sur les bons gabarits de familles qui déterminent des comportements et renferment les bons « Styles d’objets ».
Il faut surtout bien définir
avec les utilisateurs finaux le cahier des charges de la famille qui va
déterminer le niveau de complexité et le besoin en paramètres.
Est-ce compliqué comme certains se l’imaginent ?
Lorsque je fais de la formation initiale et que je fais découvrir l’univers des familles avec un exemple de mobilier très simple, je dis souvent aux stagiaires qu’on ne va pas faire de choses compliquées mais simplement inhabituelles par rapport à leur travail quotidien.
Je leur précise toujours que cela reste très graphique et que la mise en place des paramètres n’a rien à voir avec l’utilisation d’un langage de programmation.
Y-a-t-il des familles complexes dont tu es particulièrement fier ?
Fier, le mot est un peu fort mais certaines familles m’en ont fait baver et j’étais content d’en venir à bout !
Je pense notamment à une famille de fenêtres avec des petits bois et un ABF avec des exigences particulières. La difficulté résidait dans la complexité du cahier des charges qui s’alourdissait de jour en jour. Un mélange entre la mise en place d’un réseau avec des divisions régulières et des possibilités de sortir du quadrillage en jouant sur des intervalles différents et des visibilités.
Un joli casse-tête !
Qu’est-ce qui est le plus dur selon toi quand on crée des familles ?
Le plus dur à mon sens, c’est de démarrer sans vraiment s’appuyer sur une méthodologie et sans avoir bien appréhendé la notion d’imbrication qui bien qu’ayant ses contraintes, facilite à terme le travail. Pour prendre un exemple, une famille « poignée » est insérée dans une famille « ouvrant » qui sera elle-même imbriquée dans la fenêtre finale dans laquelle une famille « dormant » aura été insérée, à l’instar des poupées russes.
Cette façon de procéder permet de préparer ses « kits » qui seront ensuite assemblés un peu comme le process industriel lui-même.
Ce principe d’imbrication est un réflexe qu’il faut avoir quel que soit la catégorie de famille.
Est-ce que cela coûte cher ?
C’est du temps passé et de la matière grise, deux notions auxquelles les Architectes devraient être sensibles puisqu’ils les défendent pour eux-mêmes à juste titre !
Je pense surtout que le plus difficile est de faire comprendre ce que cela rapporte en termes de rapidité, d’efficacité de production et de cohérence graphique.
La difficulté est d’autant plus grande si les décideurs sont éloignés de l’outil informatique.
Quelle est la différence entre ta production et ce que l’on peut télécharger sur les sites des producteurs d’objets de bibliothèques ?
Le succès remporté par Autodesk Revit a eu pour conséquence de voir émerger ça et là pas mal d’objets de bibliothèque au format « rfa » sur des sites de producteurs.
Mon propos ici n’est pas de dénigrer telle ou telle production mais d’attirer l’attention sur un point crucial qu’il faut aborder absolument : l’implémentation des niveaux de détails.
Ils permettent dans les vues 2D (plans et coupes) de hiérarchiser les aspects graphiques des éléments dans les vues de projet en fonction des besoins et(ou) des échelles des différents documents à produire.
En outre, il est à noter que cette implémentation permet de coller aux exigences présentes et futures inhérentes à un projet BIM, et de satisfaire aux différents niveaux de rendus des phases et des livrables.
C’est ce que je m’efforce
absolument de mettre en œuvre dans mes objets de bibliothèque et j’ai souvent
constaté que cela manquait la plupart du temps sur les différents sites.
Qu’est-ce qui selon toi fait la force d’Autodesk Revit dans le domaine de la création d’objets de bibliothèque ?
Dans ce domaine on peut dire qu’Autodesk Revit possède pas mal d’atouts que j’ai eu l’occasion d’évoquer.
Tout d’abord l’environnement qui permet la création du « squelette paramétrique » gérer par des variables facilitant la déclinaison des différents types dimensionnels dans une même famille.
Ensuite le fait que tout cela se passe de manière très graphique sans intervention d’une quelconque programmation me parait un gros avantage.
Enfin et j’ai insisté à plusieurs reprises, le fait de pouvoir implémenter les représentations symboliques des différents niveaux de détails dans les vues 2D conduisant ainsi à la maitrise totale de l’aspect graphique.
Comment interviens-tu en général ? Directement dans l’agence ou depuis le bureau à partir d’un cahier des charges défini ?
Pour la prestation d’objets de bibliothèque, même si le travail peut se faire en dehors après la définition du cahier des charges, il est primordial d’avoir du temps sur site au milieu des utilisateurs finaux qui testent les objets directement dans les projets.
Cela permet de parfaire le « contrôle qualité » indispensable et plus pertinent en condition réelle et de faire éventuellement évoluer le comportement des familles.
T’arrive-t-il d’intervenir aussi en tant que Docteur Bernasconi pour vérifier les familles créées par certains et y apporter des remèdes pour qu’elles fonctionnent bien ?
Cela m’est bien sûr arrivé comme tout le monde surtout quand je fais de l’accompagnement de devoir « ausculter » une famille de fenêtre récalcitrante dont on change les dimensions et qui ne varie pas le moins du monde !
Lorsqu’on peut apporter un remède rapide et efficace (un paramètre mal associé ou une géométrie mal verrouillée) c’est avec plaisir, mais malheureusement il y a souvent des familles mal conçues au départ qui ne méritent pas d’être sauvées !
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans la création de familles ? Et éventuellement devenir le référent en ce sens ?
D’abord je l’encouragerais car c’est vraiment passionnant. Mais je lui conseillerais surtout de faire une formation de perfectionnement orientée vers la création d’objets de bibliothèque.
Je pense que cela lui fera gagner du temps et lui permettra de partir sur de bonnes bases.
Attention à « l’auto-formation » en s’inspirant de familles existantes car lorsqu’on est débutant sur le sujet, il est difficile de repérer celles qui sont pertinentes.
Quels sont tes projets de développement pour le futur dans ce domaine ou autre ?
J’espère pouvoir continuer à accompagner les agences dans cette formidable transition que représente le BIM, que ce soit sur la création de bibliothèques d’objets ou sur la mise en place d’outils susceptibles de simplifier le métier des concepteurs au quotidien.
C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit que je » lorgne » de plus en plus depuis quelques temps sur Dynamo. Je débute sur cette belle interface graphique de programmation et c’est une façon pour moi de me remémorer mon stage lointain à l’IUT de Cachan où j’ai découvert et pratiqué la programmation en langage C pendant près de 6 mois.
Peut-on te contacter pour en savoir plus ou te demander de créer des familles ad-hoc ?
On peut bien évidemment me contacter et je vais donner mes coordonnées. Je reste ouvert à toute forme de collaboration, dans la limite bien sûr de mes compétences.
Y-a-t-il un message particulier que tu souhaiterais faire passer à nos lecteurs ?
Compte tenu de tout ce qui précède, vous comprendrez aisément que j’encourage fortement les utilisateurs d’Autodesk Revit à se pencher sur l’univers des familles ! C’est vraiment passionnant, bien conçu, performant et très adapté à nos besoins « métier ».
Je me sens même prêt quant à moi à en faire le passe-temps préféré de mes vieux jours !
Michel Bernasconi, Architecte
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Cher Michel, un grand merci et bravo pour ton parcours si riche et tous ces conseils efficaces.