Le développement durable est au cœur des préoccupations de la filière bâtiment. Sachant que ce même bâtiment est à l’origine d’une bonne partie de l’empreinte carbone mondiale et qu’il convient de trouver des solutions pour le rendre plus « ecofriendly », il devient de plus en plus incontournable de trouver des solutions pour créer des bâtiments plus durables et de plus grande qualité, notamment au niveau de l’air intérieur.
Parmi les acteurs qui travaillent sur ces sujets, nous avons eu la chance de découvrir une jeune startup – Octopus Lab – qui met à disposition un plugin d’anticipation de la qualité de l’air à l’intérieur des bâtiments en s’appuyant sur les modèles BIM et leurs données. Ils ont même tout récemment travaillé sur un module spécifique également capable d’évaluer le risque de contamination au SARS-COV-2.
Nous accueillons avec plaisir son Fondateur Maxence Mendez pour nous en parler plus en détails.
maxence@octopuslab.fr
Bonjour et bienvenu Maxence, pourrais-tu stp te présenter en quelques mots à nos lecteurs en nous parlant de ton parcours ?
Bonjour Emmanuel, et merci de t’intéresser à notre travail. J’ai fondé Octopus Lab, société spécialisée dans la prévision de la qualité d’air intérieur en 2017. Auparavant, j’étais chercheur et je participais à des projets de recherche en lien avec la qualité d’air extérieur et/ou intérieur.
Quand et comment t’es venue l’idée de créer Octopus Lab ? Et d’ailleurs pourquoi Octopus Lab ?
De 2013 à 2016, j’étais au service d’un projet financé par l’ADEME (Agence de l’Environnement et Maîtrise de l’Energie) pour étudier l’impact de la RT 2012 sur la qualité d’air intérieur.
En résumé : est-ce que les bâtiments étanches sont plus pollués que les passoires thermiques ? est-ce une pollution différente ?
Pendant ce projet, j’ai développé un moteur de simulation, INCA-Indoor, qui prévoit les concentrations de polluants dans une pièce en fonction de plusieurs paramètres : les matériaux de second oeuvre, le réseau de ventilation, les occupants et leurs activités.
A la fin du projet, INCA-Indoor fonctionne plutôt bien et a été validé en vérifiant que les prévisions étaient conformes aux mesures faites dans des bâtiments exploités. Je me suis alors dit que ce serait bien plus utile de faire ce travail en amont de la construction et qu’il fallait prévoir la qualité d’air au moment où se prennent les décisions !
J’ai donc créé Octopus Lab pour avoir la structure dédiée à cette idée.
D’ailleurs Octopus Lab, c’est à la fois un clin d’oeil à l’Octopus’s Garden des Beatles et à mon fils, Octave, né à peu près en même temps qu’INCA-Indoor.
Quels sont vos cœurs d’activités ? Combien êtes-vous et comment êtes-vous organisés ?
Notre activité principale c’est de faire de la R&D pour INDALO et INDALO Supervision (notre outil qualité d’air pour les bâtiments exploités). Nous sommes actuellement 9 au sein de la société, 4 personnes dédiées à la R&D, 1 dédiée à la mise en production de nos idées, 3 plutôt business development ainsi que moi-même partagé entre tout cela. Notre organisation est assez simple, la R&D drive le rythme de la société. On essaie d’avoir des cycles de développement les plus courts possibles pour constamment améliorer nos logiciels, donc la frontière entre R&D et version commerciale des logiciels est assez mince.
Vous êtes à la fois BE et développeurs de solutions logicielles ? Quel est le ratio et pourquoi avez-vous décidé cette double activité ?
Initialement, nous avons commencé l’activité de BE qualité d’air parce qu’INDALO était en chantier. Nos premières études, je les ai faites en écrivant les configs bâtiments en ligne de commande dans un terminal. Le pari c’était que chaque nouvelle étude nous permettait de développer une brique qui finirait dans la version finale d’INDALO et c’est encore comme cela qu’on travaille.
On continue de répondre à des projets de conception avec nos partenaires mais notre effort commercial principal est dédié à faire connaître INDALO à de futurs utilisateurs.
Pourrais-tu nous parler de votre BE et de ses activités ?
L’activité BE a servi, au démarrage de la société, d’étude de marché grandeur nature. J’étais un chercheur avec un outil que je pensais utile mais je ne savais pas ce dont avaient besoin les professionnels du bâtiment. Je me présentais en disant “Je peux prévoir la qualité d’air d’un bâtiment, est-ce que cela peut vous servir?” et en fonction des retours, j’apprenais ce qui leur servait ou pas. Cela a permis de tester le marché et de définir la feuille de route pour la première version d’INDALO. Notre activité de BE a déjà appuyé tous types de bâtiments : des écoles (pour la Ville de Paris notamment), des EHPAD, bureaux, logements collectifs. Le BE sert aussi de laboratoire d’innovation. Certains fabricants (ventilation ou matériaux) testent notamment leurs nouveaux produits avec nous.
Sur la partie logicielle, pourrais-tu nous parler du ou des plugins BIM, notamment INDALO que vous avez développé ?
INDALO c’est l’équivalent de la simulation thermique dynamique (STD) pour la qualité d’air intérieur. Il prévoit la qualité d’air intérieur dynamiquement en fonction de ce qu’on a renseigné dans la maquette (matériaux, système HVAC, occupation, air extérieur).
Lorsque j’ai voulu développer INDALO, je n’avais peu ou pas de connaissances en BIM. La seule chose dont j’étais sûr, c’est que je ne m’imaginais pas développer une interface graphique dédiée à INDALO parce que c’était hors de mon champ de compétences et que je trouvais plus intelligent de permettre à l’utilisateur de ne pas avoir à refaire une saisie graphique supplémentaire.
Quand j’ai découvert l’existence du BIM et ses possibilités, j’ai compris qu’il fallait se greffer à ce mouvement. et quand j’ai découvert que les APIs d’Autodesk Revit permettaient de collecter une large partie des informations dont INDALO avait besoin pour configurer une simulation, on a foncé !
A qui s’adresse INDALO et quels objectifs permet-il d’atteindre ?
INDALO permet de prévoir la qualité d’air d’un bâtiment, c’est à dire les concentrations de polluants dans l’air. Il permet de tester des variantes d’un projet et de décider objectivement quelle est la solution la plus propice au projet. En fonction du type de projet, les objectifs sont différents :
- pour les établissements de petite enfance, il s’agit en général de s’assurer que les niveaux de formaldéhyde (polluant réglementé) soit en dessous des valeurs seuils (qui vont encore baisser en 2023)
- pour les bureaux, on répond le plus souvent aux objectifs de certifications ou de labellisation qui portent en général sur le CO2, le formaldéhyde, les particules fines et les composés organiques volatiles.
INDALO est un outil plutôt dédié aux bureaux d’études. Notre utilisateur « classique » est un thermicien qui a des connaissances solides en STD et qui prend en main la qualité d’air par un axe qu’il maîtrise, la simulation.
Quels types de calculs permet-il d’effectuer ? Sont-ils effectués localement ou dans le Cloud ?
Sur INDALO, on peut prévoir les concentrations de tous les polluants réglementaires dans des bâtiments d’usage classique (logements, bureaux, ERP, etc).
Depuis quelques jours, on a adapté l’outil et il également capable d’évaluer le risque de contamination au SARS-COV-2. Le but est de suivre le parcours du coronavirus émis par une personne malade au sein du malade et d’estimer le risque de contamination pour les autres occupants. Cella permet notamment d’évaluer les systèmes de ventilation dans les ERP car ils n’ont pas été conçus et exploités en imaginant une telle situation.
Tous nos calculs sont réalisés chez nous. Lorsque le plug-in lance un calcul sur notre plateforme, il transmet une partie de la maquette à nos serveurs pour paramétrer la simulation. Ensuite, nous avons une infrastructure dont nous sommes plutôt fiers, pour chaque simulation, nous louons un serveur de façon temporaire pour réaliser les calculs. Ainsi, un utilisateur peut lancer un grand nombre de calculs sans surcharger son PC ni empêcher un autre utilisateur de réaliser son étude.
Est-ce basé sur un moteur de calcul certifié ?
INDALO est basé sur INCA-Indoor. Il n’est pas certifié a proprement parlé, mais il a fait l’objet de multiples publications pour démontrer son accord avec les mesures réalisées dans des bâtiments. Tout notre travail de validation est public et on le communique à chaque client qui le demande. Certains de nos partenaires ont également réalisés des campagnes pour vérifier la pertinence d’INDALO.
Faut-il avoir des capacités de développeur ou d’expert pointu pour l’utiliser ?
Absolument pas ! Il faut avoir une connaissance du BIM ou de la simulation thermique pour aborder INDALO sans souci. Nous avons vraiment essayé de limiter le frein à l’adoption de l’outil sur cet aspect. Le prochain point d’amélioration chez nous, c’est l’édition automatisée de rapports d’expertise de qualité d’air. Cela permettra une meilleure compréhension des enjeux qualité d’air par les clients de nos clients que sont les maîtres d’ouvrages.
Cette solution a l’air unique en son genre sur le marché ?
Absolument ! Nous sommes les premiers à avoir validé l’aspect chimie de l’air intérieur et les premiers à avoir édité un outil BIM-compatible et nous continuons d’avancer.
Avez-vous déjà beaucoup de clients l’utilisant ? Sont-ils plutôt BET ou Architectes ?
Nous travaillons peu avec les architectes, nos clients sont plutôt des BET de toutes tailles et les départements d’ingénierie des grands comptes du BTP tels que ENGIE Solutions, EGIS et autres.
On pense souvent au BIM pour les constructions neuves. Les vôtres peuvent-elles aussi être appliquées à des cas de rénovation ?
Bien sûr, nous avons d’ailleurs la mission d’un projet de rénovation énergétique de logements sociaux prévue cette année chez Octopus Lab. Les bailleurs sociaux sont en train de digitaliser leur parc, la rénovation énergétique est en cours et la qualité d’air intérieur est un sujet très important pour eux. De fait, INDALO permet de s’assurer, par exemple, que l’isolation par l’extérieur des façades n’est pas un frein trop important à la bonne circulation de l’air dans les logements.
Vous développez sur la plateforme Revit. Pourquoi ce choix ? D’ailleurs l’utilisez-vous aussi au sein de votre BET ?
Autodesk Revit est la référence pour les maquettes BIM. Nous souhaitions qu’un utilisateur Revit puisse avoir à disposition la qualité d’air parmi l’ensemble des solutions disponibles dans son environnement de travail Revit.
Chez nous, j’ai vaguement pris en main Revit avant de passer la main à notre ingénieur en charge du développement d’INDALO et des études qui a été formé lors de son cursus à l’ESTP et l’ENSAM.
Vous avez aussi une solution SaaS. Que permet-elle de réaliser ?
INDALO Supervision, c’est notre outil de prévision de la qualité d’air pour les bâtiments exploités. Une étude INDALO permet de cadrer des choix de ventilation, de matériaux etc.
Lorsque un bâtiment passe en exploitation, la qualité d’air varie en fonction de l’air extérieur et des occupants (leur présence et leurs activités). Dans ce cadre, Octopus Lab équipe le bâtiment de stations de mesures de qualité d’air et s’appuie sur ces mesures pour réaliser des prévisions de qualité d’air sur les 24h à venir.
En fonction des données collectées par les stations et notre maquette INDALO, Le service de supervision fait du machine learning pour comprendre ce qui s’est produit dans le bâtiment et ce qui arrive. Supervision relance une nouvelle prévision de qualité d’air toutes les heures et propose un programme de ventilation adapté pour garantir la qualité d’air intérieur.
Par exemple : faut-il se protéger de l’air extérieur à cause d’un pic de pollution ou ventiler fortement l’open space car il est en sur-occupation ? Supervision décide et peut piloter les systèmes HVAC.
Vous collaborez aussi avec l’ADEME ? Dans quel cadre en particulier ?
L’ADEME était le financeur et pilote sur le projet dans le cadre duquel INCA-Indoor a été développé. Depuis, Octopus Lab et l’ADEME collaborent notamment sur une thèse qui a pour but d’améliorer le couplage entre mesure de qualité d’air et simulation et qui est également en partenariat avec l’Université de Strasbourg.
Avez-vous déjà de belles références de projets de bâtiments conçus en BIM et de Clients (BET ou architectes) ayant utilisé votre solution dont tu pourrais nous parler ?
Lorsque nos clients envoient des simulations, on n’a pas accès à la maquette donc je ne saurais vous dire quels projets sont passés sur nos serveurs. En revanche, on a déjà traité deux écoles pour la Ville de Paris, l’une dans un contexte de pollution assez difficile. L’autre dont la Ville de Paris fera la promotion prochainement a servi de laboratoire d’innovation car ils y ont inclus un grand nombre de solutions intéressantes : réemploi de matériaux, emploi de biosourcé, ventilation originale avec du tirage naturel et des fenêtres pariétodynamiques notamment. INDALO a été impliqué pour assurer la cohérence d’ensemble en terme de qualité d’air.
Un projet d’envergure que nous avons remporté est le projet de la Porte de Montreuil avec Nexity et ENGIE Aire Nouvelle. Il s’agit d’un ensemble urbain de 7 bâtiments (60 000m2) qui doit redéfinir l’espace autour de la Porte de Montreuil à Paris. C’est un projet labellisé par le C40 (Collectif des 40 villes du monde qui s’engagent pour le Climat) qui est très ambitieux. On vise ici la neutralité carbone, la réversibilité des bureaux en logements pour prévoir l’évolution des usages et, entre autres, une qualité d’air optimale malgré la présence du périphérique au pied des immeubles.
Dans le contexte du COVID 19, perçois-tu une augmentation de l’intérêt pour ta solution afin de contrôler la qualité de l’air intérieur?
Depuis que le COVID-19 est arrivé en Europe, c’est devenu un sujet récurrent dans les questions de nos partenaires et des personnes à qui l’on présente nos solutions. On a commencé à y travailler sérieusement en avril quand on s’est rendu compte qu’on pouvait faire quelque chose sur le sujet. Le département recherche de Boeing avait publié des simulations de transmission du SARS-COV de 2002 qui s’est réellement produit dans des vols moyen courriers opérés dans des Boeing 737. Il y avait donc une méthodologie existante pour évaluer le risque de propagation du virus de type coronavirus dans des environnements intérieurs qu’on s’est empressé d’adapter à nos bâtiments et à ce virus qui est encore plus dangereux que le SARS-COV-1. Désormais, INDALO peut évaluer le risque de transmission d’un coronavirus dans un bâtiment en fonction de la fréquentation et de la régulation de ventilation. In fine, on souhaite qu’INDALO aide à garantir la sécurité dans les écoles, les entreprises en tenant compte de ce nouveau risque sanitaire.
Vous avez aussi une Offre Education. Est-ce important pour vous de sensibiliser les futures générations à ces sujets ?
Effectivement, plus on diffuse l’information et les outils pour appréhender le sujet, mieux on fait comprendre l’importance de la qualité d’air comme enjeu de santé publique et individuelle.
Comment peut-on acheter votre solution ? Avez-vous un réseau de distribution ?
Pour l’instant, en s’adressant à nous directement. Un de nos objectifs de 2020 est de créer ce réseau de distribution à l’étranger puisqu’INDALO est disponible en Français et Anglais.
Avez-vous des projets de développement d’autres solutions du même ordre sur la plateforme Revit ?
Nous avons beaucoup d’idées ! Ce qui nous manque c’est le temps de développer tout ce qu’on a en tête !
Connaissez-vous la plateforme Autodesk Forge et avez-vous pensé à développer des solutions sur cette base ?
Oui, INDALO aurait sa place sur Autodesk Forge puisque la qualité d’air intérieur est un axe transverse lors de la conception. La QAI dépend de l’architecture et de l’agencement, des matériaux, des choix énergétiques et de l’extérieur du bâtiment. De fait, il implique plusieurs acteurs qui n’ont pas toujours conscience de l’impact de leur travail vis à vis des autres acteurs de la qualité d’air. Plus les outils permettront le travail collaboratif, mieux se portera la qualité d’air.
Quels sont vos objectifs pour le futur développement de votre société ?
Nous souhaitons que la qualité d’air soit un enjeu traité de façon systématique lors d’une phase conception et en exploitation. Pour traduire cela en objectifs, ceci signifie que nous devons faire connaître INDALO au plus grand nombre de BET possible en France et dans le monde et continuer à améliorer le service que rend INDALO.
Aurais-tu un message particulier que tu souhaiterais faire passer à nos lecteurs ?
Nous vivons une époque particulière, assez révélatrice, tragique et, malgré tout, riche d’enseignements.
1 – Le monde reprend conscience que la santé prend le pas sur toutes les autres priorités.
2 – Tous les français ont suivi avec attention l’actualisation des simulations de propagation du coronavirus en croisant les doigts pour voir l’inversion de la courbe se produire.
Je pense que tout le monde est prêt pour utiliser INDALO désormais 😉
Maxence, nous te remercions sincèrement pour cet échange très enrichissant. Nous espérons qu’INDALO sera utilisé de manière intensive afin de réduire les risques de contamination et de continuer à améliorer la qualité de l’air intérieur. Et nous vous souhaitons de continuer sur la voie du succès.