Lorsqu’on parle de BIM et de patrimoine existant, se pose souvent la question du travail nécessaire à la BIMisation des assets existants et des moyens et ressources à mettre en œuvre. Comment massifier cette reconstitution de maquettes sans exploser les budgets et rendre ainsi impossible le premier pas vers le BIM ? Lasergrammétrie et photogrammétrie sont des procédés intéressants et efficaces mais qui ont un coût non négligeable.
Par ailleurs, nombre de bâtiments existants n’ont pour documentation que des documents 2D papier ou dans le meilleur des cas, aux formats PDF ou DWG.
Afin de pallier à cet écueil, une startup innovante née il y a quelques temps a totalement changé la donne : WISEBIM. Elle propose de transformer les bons vieux plans papier 2D en maquettes BIM au format IFC qui seront directement exploitables dans des solutions BIM du marché telles qu’Autodesk Revit. Nous allons découvrir cette révolution basée sur l’Intelligence Artificielle avec l’un de ses co-fondateurs, Tristan Garcia.
Tristan Garcia
CEO de WISEBIM
contact@wisebim.fr
www.wisebim.fr
Bonjour Tristan et bienvenue sur ABCD Blog. Pourrais-tu stp te présenter et nous parler de ton parcours avant d’avoir fondé WISEBIM ?
Merci beaucoup Emmanuel pour cette interview. J’ai un parcours un peu atypique. Après des études de géologie et l’obtention de mon doctorat en géochronologie, j’ai été recruté au sein du Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives (CEA) en tant qu’Ingénieur-Chercheur en métrologie des rayonnements ionisants. J’y ai ensuite valorisé les technologies du CEA en tant que responsable des affaires industrielles d’un des départements du CEA List. En 2017, j’ai fondé WISEBIM avec Frédéric SUARD, alors aussi chercheur au CEA.
Quand et comment t’es venue cette idée de fonder WISEBIM ? Quel a été l’élément déclencheur ?
C’est dans ma dernière fonction que j’ai eu l’opportunité d’exposer, auprès d’industriels issus de marchés variés mais aussi à des acteurs publics, les résultats d’une thèse dont l’idée première était de simplifier la création de la maquettes BIM à partir de documents existants (en particulier les plans architecturaux) pour pouvoir les utiliser dans le domaine de la simulation thermique du bâtiment.
L’attrait suscité par cette technologie a motivé la création de WISEBIM afin de répondre rapidement et de manière flexible à ces besoins concrets. Cette volonté de créer une start-up plutôt que d’effectuer un transfert technologique s’est justifiée par la multiplicité des segments de marché et la rapidité d’évolution de ces derniers. Cette effervescence autour du BIM, implique d’être au plus près de la demande et l’agilité de WISEBIM permet de réagir efficacement pour adresser ces marchés.
Avais-tu auparavant travaillé dans ou pour le bâtiment ?
Jamais, mis à part un peu de géotechnique pendant mes études.
Combien êtes-vous chez WISEBIM et comment êtes-vous organisés ?
Nous sommes bientôt 12. L’équipe technique (la plus grande) est basée à Chambéry, au VillagebyCA des Savoie et elle est dirigée par Frédéric, mon associé et également directeur technique. La partie administrative, commerciale et marketing, est quant à elle basée à la Station F à Paris, ce qui permet d’être au plus près de nos partenaires et de nos clients.
Quelles sont les technologies et services que vous développez et vendez ? Pourrais-tu stp les décrire concrètement ?
La solution phare de WISEBIM permet d’automatiser en grande partie la génération de maquettes BIM à partir des plans architecturaux existants. Fondée sur l’intelligence artificielle, cette technologie est pour l’instant unique. Grâce à WISEBIM, les propriétaires, les exploitants, les gestionnaires de parcs immobiliers importants, peuvent ainsi numériser en BIM leur patrimoine 10 fois plus rapidement qu’avec les méthodes classiques.
Nous avons 2 offres :
- Une offre de service : nos clients nous fournissent leurs plans scannés avec des coupes ou des informations d’élévation et nous leur rendons des maquettes numériques finalisées.
- Une offre en ligne PLANS2BIM (bientôt disponible) : cette solution en SaaS permet de mettre à disposition de nos futurs utilisateurs nos algorithmes.
Est-ce que cela fonctionne bien sur de l’ancien, avec des murs complexes, des toitures, des sous-pentes, des escaliers et éléments architectoniques complexes ?
Notre donnée d’entrée étant le plan en 2D, toutes les différences d’élévation au sein d’un même élément nécessitent des reprises manuelles avec des logiciels auteurs tel que Revit.
Notre solution a pour objectif d’automatiser au maximum la génération de la maquette numérique. Il restera toujours, néanmoins, une part de vérification, de correction et d’enrichissement manuelle plus au moins longue en fonction de la complexité du bâtiment. Cependant, nous avons récemment fait un test avec un bureau d’étude technique : pour un bâtiment résidentiel classique, pour le même niveau de détails, il nous a fallu 13 fois moins de temps.
Quid des usines et bâtiments plus complexes ou métalliques ?
Cela dépend : une centrale nucléaire sera bien plus compliquée qu’un entrepôt logistique.
Je dis toujours que l’on ne fait pas le Panthéon, cela dit, la plupart des bâtiments ne ressemblent pas au Panthéon. Nous travaillons beaucoup sur des bâtiments de bureaux, des logements, des entrepôts, des usines, des hôtels, des écoles et des lycées et, plus rarement, sur des maisons individuelles.
Vous allez d’ailleurs lancer prochainement une nouvelle offre Plans2BIM ? Pourrais-tu nous en dire 2 mots ?
L’objectif de PLANS2BIM est de mettre nos algorithmes à disposition de nos futurs utilisateurs selon le principe suivant :
- L’utilisateur se connecte et charge les plans architecturaux numériques (DWG, PDF, PNG, etc.), sur la plateforme,
- L’utilisateur renseigne quelques paramètres nécessaires aux traitements,
- Les éléments structurants des bâtiments sont automatiquement reconnus et incrémentés.
Les éléments reconnus automatiquement sont les murs extérieurs et intérieurs, les fenêtres, les portes extérieures et intérieures, les dalles de sol/plafond et les espaces, - L’utilisateur peut vérifier le résultat en ligne. S’il est satisfait, il peut télécharger le fichier IFC créé, sinon il peut relancer le traitement en changeant certains paramètres,
- L’utilisateur peut éditer la maquette pour la finaliser et l’enrichir par lui-même,
- L’utilisateur peut télécharger ensuite le fichier IFC afin de l’exploiter dans son logiciel.
A qui s’adresse WISEBIM ? Toute la maîtrise d’œuvre ?
Notre offre de service s’adresse plutôt aux maîtres d’ouvrage qui souhaitent facilement intégrer les maquettes qui constituent l’avatar numérique de leur patrimoine dans leurs outils de GMAO ou de GTB (GTP).
Notre offre en ligne (PLANS2BIM) cible les architectes, les bureaux d’études ainsi que les entreprises du BTP, quelle que soit leur taille.
D’ailleurs, adressez-vous uniquement les Grands Comptes ou WISEBIM est-il aussi pour les TPE/PME ? En somme, faut-il de gros projets pour faire appel à vous ?
WISEBIM travaille avec des clients ayant essentiellement des besoins de gestion de patrimoine, de rénovation et/ou de démantèlement, tels que les bailleurs sociaux, les grandes entreprises, les groupes du BTP ainsi que les institutionnels. Ce sont surtout des grands comptes mais des bureaux d’études font de plus en plus souvent appel à nous, c’est aussi l’objectif de PLANS2BIM que de pouvoir adresser les ETI, PME et TPE.
Vous communiquez sur l’Intelligence Artificielle. Pourrais-tu nous en dire un peu plus ? Est-on dans le machine learning ou deep learning ou autre ?
Nous utilisons, réalisons et compilons des algorithmes spécifiques de reconnaissance d’image, d’apprentissage statistique, de recherche sémantique et de contextualisation. De plus, nous utilisons le machine learning (dont le deep learning) pour capitaliser au fur et à mesure sur les différents plans qui sont transformés. Cela permet de renforcer et d’accélérer la reconnaissance des différents éléments présents dans des plans dont la facture peut être très différente de l’un à l’autre.
Pour que nos lecteurs comprennent, votre algorithme fait-il tout automatiquement ou y-a-t-il encore une intervention importante de l’homme ?
Comme je vous l’expliquais précédemment, la vérification et/ou correction des modèles seront toujours nécessaires, que ce soit par WISEBIM dans le cadre de son offre de service ou par l’utilisateur dans le cadre de PLANS2BIM
Avez-vous développé votre propre moteur de modélisation et votre propre viewer, ou vous appuyez-vous sur des librairies existantes ?
Cela dépend des fonctionnalités, pour la plateforme logicielle en elle-même nous utilisons autant que possible des frameworks existants afin d’avoir la solution la plus robuste. D’autres outils nécessitent, eux, un développement complet, par exemple notre export IFC est développé à 100% en interne. Et dans d’autres cas, nous complétons les solutions existantes pour répondre au mieux à nos besoins, par exemple le viewer en ligne 3D issu de librairies JavaScript performantes.
Vous demande-t-on aussi de structurer la donnée en fonction de certaines classifications (UNICLASS, Omniclass, etc.) ?
Oui, en particulier pour respecter la charte BIM de nos clients et partenaires. Souvent dans l’optique d’un import de la maquette dans un outil de GMAO ou de GTP, voire dans des systèmes d’information géographiques (SIG).
Livrez-vous uniquement des maquettes au format IFC ou vous arrive-t-il de fournir des maquettes au format Revit à la demande de vos Clients ?
Notre solution génère des formats IFC, dans le cadre de l’openBIM et pour satisfaire l’interopérabilité de nos maquettes avec les solutions logicielles variées utilisées par nos clients.
Quel est le ratio des projets Revit selon toi ?
Cela dépend de l’usage de la maquette. Dans le cadre d’une numérisation d’un patrimoine en vue d’une intégration dans un outil de gestion ou dans le cadre d’un démantèlement, le passage par Revit est moins systématique que pour des réhabilitations ou des rénovations.
Cela dit, 70% à 80% de nos clients utilisent Revit.
Vos maquettes sont-elles à destination de la maîtrise d’œuvre pour des phases de conception, de construction, ou alors pour la maîtrise d’ouvrage pour des besoins de gestion et maintenance ? Et quel est justement le ratio entre les grandes utilisations de vos maquettes ?
Dans le cycle de vie du bâtiment, nous ne travaillons pas dans les premières phases que sont la conception et la construction, nous travaillons dans tout le reste du cycle jusqu’au démantèlement.
Quel est le coût des solutions WISEBIM et des services associés ?
Cela dépend du niveau de détails et du volume. En général, dans le cadre d’une numérisation d’un bâtiment tertiaire avec les éléments de structures et les sanitaires, tout en respectant les nomenclatures de la charte BIM, nous facturons entre 0,50 et 0,70 €/m2.
Vous avez été récompensés maintes fois, c’est impressionnant ! Pourrais-tu nous parler de ces prix dont vous êtes fiers ?
Comme beaucoup de startups, nous avons reçu des prix d’innovation, une dizaine. Ces reconnaissances nous ont permis de nous faire connaître, de travailler avec de grands comptes (RATP, Véolia, EDF) mais surtout elles ont montré l’appétence du marché pour cette technologie unique.
Comment votre activité a-t-elle progressé au fil des années ? Est-ce exponentiel ? Vos équipes s’étoffent-elles en conséquence ?
Bien sûr, nous sommes en perpétuel développement, en particulier sur la distinction de plus en plus d’éléments présents dans les plans. Grâce au machine learning, la reconnaissance est de plus en plus robuste, quelle que soit la provenance des plans. Nous recrutons aussi régulièrement des développeurs et des ingénieurs R&D pour améliorer les algorithmes et leur utilisation.
Comment vous situez-vous par rapport à la traditionnelle rétroconception (scan-to-BIM) ? Etes-vous compétitifs et aussi précis ?
Notre concurrence est celle liée à la transformation des plans en BIM de manière classique avec des logiciels BIM où chaque élément est créé sur la base du plan de manière manuelle. Les relevés par nuage de points puis la BIMisation est plutôt complémentaire de notre technologie dans le cas où les plans sont inexistants ou vraiment trop obsolètes. Cependant, cela est bien plus long et nécessite d’aller sur site : ce qui est coûteux.
Vous avez des références Clients assez impressionnantes. Pourrais-tu nous en citer quelques-unes dont tu es fier ?
Nous avons environ 35 clients, majoritairement des Grands Comptes. Dans le cas des bailleurs sociaux, nous avons beaucoup travaillé en partenariat avec la RIVP et Immobilière 3F. Pour les grandes entreprises, nous pouvons citer EDF ou Orange. Avec les institutionnels, nous collaborons avec le Ministère de la Défense (SID) et la Région Grand Est. Dans le BTP, nous travaillons beaucoup avec COLAS, y compris dans le cadre de développements R&D.
Vous avez été notamment associés au BIM d’or 2018 pour la raffinerie de Dunkerque. Cela vous a-t-il permis de faire évoluer vos solutions et cela a-t-il changé vos activités ?
Nous avons simplement réalisé quelques bâtiments de la raffinerie. Ce projet, porté principalement par COLAS a surtout montré le potentiel important du BIM pour le démantèlement. Il est vrai que nous n’aurions pas imaginé de prime abord que la réalisation de maquettes BIM de bâtiments à déconstruire pouvait avoir de l’intérêt. Depuis, nous avons réalisé plusieurs maquettes pour le démantèlement en vue de connaître par exemple la volumétrie de gravats à évacuer, le nombre de fenêtres à recycler ou encore les scenarii de découpage du bâtiment en fonction de la présence d’amiante.
Vous avez aussi récemment signé un partenariat avec ESRI. Cela veut-il dire que vous allez être en mesure de fabriquer des maquettes infrastructure ?
Le partenariat avec ESRI a surtout pour ambition de trouver des clients communs qui s’intéressent non seulement au contenu (la maquette) mais aussi au contexte (l’environnement). L’idée étant aussi de faciliter l’intégration des maquettes au format IFC dans un SIG.
Pour ce qui est des infrastructures, rendez-vous au BIM World pour en parler !
Vous avez récemment signé un partenariat avec la Plateforme Tipee dans le cadre de la rénovation thermique des bâtiments. A quoi cela correspond-il ?
La Plateforme Tipee et WISEBIM ont associé leurs technologies d’intelligence artificielle. Le principe est que la Plateforme Tipee exploite facilement les maquettes de WISEBIM au travers de sa solution Renoir pour une optimisation économique et énergétique de la réhabilitation des bâtiments résidentiels.
Comment perçois-tu l’état du BIM en France ? Progresse-t-il selon toi ? Quelles mesures au niveau national faudrait-il prendre selon toi pour accélérer l’adoption ?
Je pense que la transition numérique vers le BIM est en route, ce qui est rassurant pour l’avenir de ce processus. Il est cependant regrettable que cette transition soit si lente. Les outils logiciels sont là, le retour sur investissement est avéré, malgré cela, au sein des entreprises, il faudrait investir et former plus massivement. Je trouve que la plupart des entreprises sont assez frileuses sur ces deux derniers points. Les incitations nationales sont au rendez-vous (ex. : Plan BIM 2022), c’est aux entreprises de se prendre en main pour faciliter cette adoption au sein des équipes.
Entendez-vous vous développer au niveau international ?
Bien sûr, c’est l’intérêt en particulier de notre offre en ligne PLANS2BIM
Quels sont vos plans stratégiques de développement pour les années à venir ?
WISEBIM a pour objectif d’utiliser l’intelligence artificielle pour le BIM. Aujourd’hui, nous travaillons uniquement sur les plans architecturaux, nous comptons diversifier ces sources de données d’entrée. Nous souhaitons rester centrés sur l’innovation et la R&D en privilégiant l’aspect édition de logiciel plutôt que l’offre de services.
Aurais-tu un message particulier à faire passer à nos lecteurs ?
WISEBIM est là pour faciliter la vie de tous ceux qui passent au BIM, il ne faut surtout pas hésiter à nous contacter !
Connaissais-tu ABCD Blog ?
Oui, je suis ton blog quotidiennement depuis maintenant longtemps. C’est pour moi une sorte de revue de presse du BIM ! Merci à toi de partager toutes ces informations avec la communauté du BIM qui ne cesse de s’agrandir.
Tristan, merci pour cet échange passionnant. Nous te souhaitons de continuer cette belle aventure encore très longtemps et de croître à l’international. Bravo !