Grégoire Viasnoff
Directeur Marketing Buildings
Schneider Electric France
Bonjour Grégoire,
C’est un plaisir et un honneur de te recevoir sur ABCD Blog. Tu est Directeur Marketing Monde de la Société Schneider-Electric, leader mondial pour les solutions de gestion énergétique des bâtiments. C’est une grande Société qui est internationalement reconnue et qui a une très belle image de marque.
Mais pourrais-tu s’il te plait nous en dire un peu plus en présentant en quelques mots vos activités, vos implantations et vos grands objectifs ?
Merci Emmanuel pour cette introduction. Effectivement Schneider Electric est un groupe français leader mondial dans la distribution d’énergie et les automatismes industriels. Nous avons réalisé près de 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016. Nos plus de 144 000 collaborateurs répondent aux besoins de clients dans plus de 100 pays en les aidant à gérer leur énergie et leurs processus de manière sûre, fiable, efficace et durable. Des interrupteurs les plus simples aux systèmes d'exploitation les plus complexes, nos technologies, logiciels et services permettent à nos clients d’optimiser la gestion et l’automatisation de leurs activités. Nos technologies connectées contribuent à repenser les industries, à transformer les villes et à enrichir les vies de leurs habitants. Chez Schneider Electric, nous appelons cela : Life Is On
Vous êtes très impliqués dans le BIM. Pourrais-tu nous dire quand et comment cela a commencé ?
Nous avons très tôt vu le potentiel de la digitalisation du bâtiment car nous avons la chance de par la largeur de notre portefeuille d’offre d’être non seulement exposé à toute la filière de conception / exploitation du bâtiment mais également du marché de l’industrie 4.0. Il était clair depuis le début des années 2010 que la révolution vécue dans l’industrie allait gagner plus ou moins vite le monde du batiment. Mais c’est en 2013 que les choses se sont accélérées avec le développement de partenariats clé comme avec Autodesk ou l’acquisition de start-ups fournissant des services digitaux dans le bâtiment comme la société D5X.
Notre conviction d’alors était que le challenge qui consiste à devoir héberger 2,5 milliards de citadins de plus d’ici 2050 dans le monde allait révolutionner la manière dont les batiments seraient conçus et exploités.
Qu’est ce que le BIM a changé par rapport à l’approche classique qui existait pour la gestion énergétique des bâtiments ?
L’efficacité énergétique était surtout cantonnée à la RT2012 et aux certifications LEED et BREAM. Le BIM a permis d’introduire la notion de Building As a Service, c’est à dire qu’un bâtiment doit délivrer un portfolio de nombreux services le rendant ainsi productif. L’efficacité énergétique n’est plus le driver d’investissement mais uniquement le bonus financier obtenu dans un batiment connecté où les utilisateurs peuvent vivre une expérience unique et différentiante.
Comment voyez-vous justement la convergence s’opérer en BIM et gestion énergétique chez Schneider Electric ?
Nous avons rationnalisé toute notre offre dans une seule et unique plateforme EcoStruxureTM. EcoStruxure est une architecture ouverte et interopérable capable d'exploiter les possibilités offertes par l’IoT au travers de laquelle Schneider Electric apporte une valeur ajoutée à ses clients en matière de sûreté, de fiabilité, d’efficacité, de durabilité et de connectivité. Elle s'appuie sur les technologies existantes dans le domaine de l’IoT, de la mobilité, de la détection, du cloud computing, de l'analyse des données et de la cyber-sécurité pour innover à tous les niveaux, des produits connectés et dispositifs de contrôle répartis jusqu’aux applications, aux outils d’analyse et aux services. EcoStruxure a été déployée sur plus de 450 000 installations à travers le monde avec le concours de 9 000 intégrateurs systèmes et relie entre eux plus d'un milliard d'appareils connectés.
Comment se traduit concrètement ce sujet de la convergence chez vous et quels grands objectifs y étant liés sont définis pour le futur ?
Pour un bâtiment connecté, ces architectures relient entre elles la distribution d’énergie, la régulation et le confort, le contrôle du bâtiment et la gestion des Datacenters locaux. Cette convergence des solutions et des données associées permet ainsi de délivrer des services spécifiques via des analytics. Par exemple, notre solution Ecostruxure Asset Advisor permet de faire de la maintenance prédictive des assets d’un bâtiment afin d’optimiser la maintenance sur la base de l’usure réelle. Notre autre solution EcoStruxure Workplace Advisor optimise la gestion des espaces des bureaux en analysant les taux d’occupation réel.
Votre savoir-faire allié à la puissance du BIM vont-ils révolutionner les services apportés aux utilisateurs au quotidien ?
J’en suis convaincu en effet, car le BIM va non seulement révolutionner la manière dont les bâtiments sont conçus mais aussi et surtout la manière dont les bâtiments sont exploités. De nombreuses expérimentations sont en cours et elles commencent à livrer leur premières conclusion. Le BIM, sous réserve d’être complet et à jour, permet un gain d’efficacité énorme pour les Facility Managers ou les directions immobilières. Cette notion de complétude est toutefois encore délicate car pour être utile la maquette numérique doit comporter l’ensemble des composants actifs du bâtiment (centrale de traitement d’air, transformateur, contrôleurs, fluides, etc …)
Par exemple, un scénario encore un peu futuriste à ce jour mais prochainement accessible, permettra au FM de ne faire une maintenance préventive sur un contrôleur que quelques semaines avant sa fin de vie réelle grâce à des analytics dédiés. Le technicien localisera rapidement l’asset via une solution de réalité augmentée s’appuyant sur la maquette BIM et lui donnant les opérations de maintenances explicites dans son casque.
Sur le sujet des Datas qui sont générées, quelle est la vision de Schneider Electric ?
Le sujet des Datas est à la fois un sujet éthique, financier et juridique. Chez Schneider nous avons signé le Data Privacy Act garantissant à nos clients que la confidentialité des datas ou leur anonymisation étaient au cœur de nos préoccupations. Les Datas doivent restées la propriété de l’occupant et du propriétaire du bâtiment. Ceci ne doit pas empêcher d’exploiter ces datas pour délivrer des services différentiants pourvoyeurs de business pour les uns et d’efficacité pour les autres.
Cela amènera-t-il une nouvelle typologie de services ?
Oui, l’introduction massive de la géolocalisation interne couplée à la maquette BIM par exemple ! Il vous est ainsi possible de vous déplacer rapidement dans un bâtiment ou un aéroport, de trouver facilement une salle de réunion effectivement libre même si elle apparait réservée dans le système de réservation etc. C’est par exemple ce que propose notre solution EcoStruxure Worplace Advisor.
Les algorithmes apprennent aussi à connaitre le comportement thermique du bâtiment et ainsi optimiser les consignes de conforts en fonction de la météo prévue dans les heures et les jours à venir. C’est l’objet de notre solution EcoStruxure Energy Advisor.
Plus concrètement, dans le domaine de la prescription, vous avez commencé à faire fabriquer des objets BIM. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
C est souvent sous cet angle très opérationnel que commence la prescription. Notre catalogue continue de s’étoffer et les éléments sont téléchargeables gratuitement sur notre site web.
Mais par delà les produits eux-mêmes, ce qui nous importe c’est de développer des plugins pour Revit afin que la conception des lots Courant Fort et contrôle du batiment soient réalisés de manière simple et optimum. Ces plugins seront disponibles dans les semaines à venir.
Vous vous impliquez vous-même dans la mise en œuvre très concrète du BIM alliée à vos solutions. Le projet de votre futur siège Green O Valley en est l’un des beaux exemples. Peux-tu nous dire en quelques mots sa génèse, les raisons, objectifs, et où vous en êtes ?
Green O Valley est en effet notre futur siège grenoblois. Ce projet couvre 2 bâtiments pour plus de 30000m2 dont 7000m2 de laboratoire. Nous souhaitons expérimenter en grandeur nature l’ensemble de ce qui peut être envisagé en terme de bâtiment connecté et digitalisé. Il ne s’agit pas d’une vitrine de solution éprouvée mais plutôt de la proue d’un bateau qui teste de manière réelle la faisabilité opérationnelle des solutions du bâtiment de demain : production photovoltaïque, éolienne couplée à du stockage et ouvert sur un réseau smart grid.
Comment Bouygues Immobilier, acteur majeur et innovant du développement immobilier collabore avec vous sur Green O Valley ? Quels sont d’ailleurs les accords entre vos deux sociétés ?
Bouygues Immobilier est un acteur remarquablement actif dans le monde de l’innovation dans le bâtiment résidentiel et tertiaire. C’est donc tout naturellement que nos deux sociétés ont collaboré depuis de très nombreuses années avec des projets comme Green Office déjà très novateur à l’époque. Nous travaillons actuellement ensemble pour définir ce bâtiment 4.0 ouvert et flexible.
Le fait de pouvoir travailler sur des projets concrets rend notre collaboration plus concrète et plus riche. Schneider est heureux d’avoir confié à Bouygues Immobilier la réalisation du bâtiment Leed Platinium de Green O Valley.
Des opérations d’appareillage de bâtiments existants comme la Préfecture de l’Isère avec un monitoring BIM ont suscité beaucoup d’intérêt. Peux-tu nous dire ce qu’il en est ?
Ce projet d’innovation mené conjointement avec Autodesk avait pour objectif de visualiser dans la maquette numérique le comportement thermique des bâtiments de la préfecture en utilisant Project Dasher d’Autodesk.
Le concept a été très probant et a montré de nombreux cas d’usage liés à l’enrichissement de cette maquette avec des données de température. L’exploitation est ainsi optimisée. Ce projet a également permis de faire progresser les solutions techniques permettant de manipuler, d’afficher et de rejouer des scénarios thermiques.
Où en est-on sur le marché français et international de toute cette disruption et des bénéfices qu’elle apporte selon toi ?
Le potentiel est énorme et les enjeux sont vitaux. Pour héberger les 2,5 milliards de citadins supplémentaires en 2050 nous devons construire et exploiter les bâtiments de manières beaucoup plus efficace !
La digitalisation du cycle du batiment est la clé du succès. Maintenant la France se réveille bien et rattrape son retard notamment sur la Grande-Bretagne. Mais les grands enjeux de la construction se situent dans les pays BRIC et c’est une course qui s’est engagée. De nombreuses sociétés locales, notamment chinoises sont à la pointe de la digitalisation. Il n’y a qu’à voir comment les premières villas construites par impression 3D ont du succès en Chine !
Le commun des mortels en voit-il déjà les fruits ou faudra-t-il encore du temps ?
L’industrie du bâtiment reste conservatrice, car tout changement induit des risques, synomymes d’érosion de marge dans la période de transition. Hors, compte tenu de la crise passée du batiment, les acteurs locaux restent timides, les majors quant à eux accélèrent ! Dès à présent, les services liés à la géolocalisation intérieure se multiplient. D’ici 10 ans, le batiment sera flexible et reconfigurable car ses occupants auront des besoins et des usages différents.
Est-ce uniquement réservé pour les opérations neuves ou cela peut-il s’adresser aux rénovations ?
Les deux types d’opérations sont concernés. Dans la rénovation, l’emergence des solutions wireless avec une autonomie annoncée de 15 ans vont vraiment démocratiser l’IoT. Ces capteurs généreront en milieu occupé des données agrégées via des réseau M2M de type LORA, Sigfox voire 5G. Le traitement de ces données transformera le batiment. Par exemple, nous transformons actuellement des EHPAD en batiment bienveillant en moins de 1heure par appartement ! Les capteurs de présence sans fil sont installés dans les appartements et zones communes. Le couplage de ces données via des algorithmes détecte les chutes, les dérives du sommeil, de l’activité. L’IoT rend le bâtiment bienveillant en générant des alertes quand le résident est en situation à risque (chute, levé trop tardif etc …).
En tant que leaders du secteur, quelles sont selon toi les futures grandes révolutions qui vont voir le jour ?
La question que je me pose c est jusqu’ou l’IA (Intelligence Augmentée) va révolutionner nos usages. Cette notion de big data couplée à des assistants vocaux est capable de révolutionner notre relation au batiment. De nombreux prémices existent dans ce sens dans le résidentiel, mais dans le tertiaire, c’est encore un océan bleu !
Comment collaborez-vous de manière stratégique sur ces sujets avec Autodesk qui fut à l’origine de la création du BIM ?
En effet, il est bon de rappeler qu’Autodesk est non seulement un leader mais le pionner dans cette digitalisation du batiment. Notre partenariat stratégique est polymorphe, mais comme je l’évoquais précédemment le mieux est à venir et sera le fruit de nos collaborations afin de délivrer des plugins clé dans la conception des bâtiments avec Revit.
De plus, la combinaison de nos solutions EcoStruxure Buildings et Forge sont extrêmement génératrices de valeur en exploitation. Là encore, de nombreuses innovations restent à venir.
Si tu souhaites conclure sur des sujets que nous n’aurions pas abordé, la parole est à toi.
Je tenais avant tout à te remercier Emmanuel pour cet échange en particulier et d’une manière plus générale pour les échanges que nous avons sur ce sujet passionnant du batiment digitalisé et connecté.
Tu peux compter sur moi pour continuer à avancer conjointement !
Grégoire, encore un grand merci pour le temps que tu nous accordé, pour la qualité de cette interview passionnante et à très bientôt.
-emmanuel